« Au firmament de ce qu’il est convenu d’appeler Great Black Music, ce courant majeur qui prend sa source dans le blues et le gospel avant d’être enrichi par le jazz, la soul, le funk et autres affluents, brillent encore quelques étoiles de première grandeur (…). Disparue en août dernier, Aretha Franklin (1942-2018) présente avec Ray Charles plus d’un point commun. Chanteuse et pianiste, elle aussi, son surnom de Queen of Soul dit assez le rayonnement qui fut le sien et la place qu’elle occupe dans la longue saga de la musique noire américaine. Son domaine, celui du gospel, de la soul et du rhythm’n’blues, est celui du Genius et son essor coïncide à peu près avec sa signature chez Atlantic, le label qui propulsa Ray Charles vers les sommets. Si la vie professionnelle de celle que Mahalia Jackson prit très tôt sous son aile connut des hauts et des bas (elle fut relancée dans les années 80 par le célèbre film de John Landis The Blues Brothers, au générique duquel figurent aussi Ray Charles et James Brown), sa vie privée ne fut pas moins tumultueuse. C’est que la forte personnalité d’Aretha lui permit de s’affirmer en tous domaines, du gospel à la variété. D’enregistrer plus de quarante albums et d’en vendre soixante-quinze millions, devenant ainsi la première chanteuse noire à dépasser en ce domaine Elvis Presley soi-même. Un coffret de deux CD, « The Indispensable Aretha Franklin 1956-1962 » offre l’intégrale de ses premiers enregistrements. Dans son époque Columbia, elle est accompagnée par des musiciens aussi estimables que le pianiste Ray Bryant, entre autres, et ses qualités vocales éclatent déjà dans le traitement particulier de la mélodie et sa faculté unique de transmettre l’émotion. Une technique vocale ainsi analysée par Bruno Blum, auteur du livret : « Elle donnait des interprétations puissantes, spontanées, capables d’émouvoir les fidèles aux larmes, en utilisant les techniques d’improvisation que l’on retrouve dans le blues, le jazz, comme dans le gospel : ornementations diverses comme les mélismes, appoggiatures, passages brusques de la mélodie à un octave plus haut, utilisation de la septième mineure, etc. » Il n’est, à l’évidence, pas nécessaire d’être expert en analyse musicale pour goûter des morceaux tels que Maybe I’m A Fool, Today I Sing the Blues ou GodBless the Child. La force de conviction déployée par la chanteuse emporte tout. Elle présage des succès à venir et rend ce coffret indispensable. »
Par Jacques ABOUCAYA – LE SALON LITTERAIRE
Par Jacques ABOUCAYA – LE SALON LITTERAIRE