« (…) Les 6 premiers titres prolongent donc la séance du 23 mars 1962 du volume 18 (à trouver par vos soins), à l’origine sur un même album LP Make a Joyful Noise Unto the Lord. La suite des enregistrements n’est pas moins révélatrice du talent multidimensionnel de Mahalia: une voix et une expression en absolu comme on peut le dire d'Ella Fitzgerald, de la Callas ou de Billie Holiday. Il s’agit de gospels, de chants de Noël, dans un style très classique au sens aussi bien de traditionnel et de musique classique, où la voix de Mahalia est au niveau des grandes cantatrices d’opéra par sa puissance expressive autant que par la mise en place et une nature d’expression très solennelle, émouvante comme peu de cantatrices en ont le pouvoir («What Can I Give»). La voix est miraculeuse de clarté, de diction et de majesté. Quand on se remémore l’actualité afro-américaine de ce début des années 1960, à laquelle prend part la grande chanteuse aux côtés de Martin Luther King, Jr. souvent, on peut supposer qu’une telle expression n’a pas été pour rien dans la puissance du message afro-américain à l’Amérique tout entière, d’autant que la chanteuse est aussi courtisée par le pouvoir américain central de Washington dans son souci de gestion d’une crise aiguë pour laquelle il a besoin de passerelles avec le monde afro-américain.
Mahalia Jackson, comme Martin Luther King, Jr., en ce temps, par la puissance de leur verbe et de leur art vocal, autant que par la religiosité qui habille leur message (un langage commun des Etats-Unis), étaient sans doute les manières les plus adaptées de faire enfin partager à l’autre partie de l’Amérique l’idée que le monde afro-américain ne se limitait pas à un monde parallèle invisible au service du monde dominant ou en rivalité avec les pauvres Euro-Américains. D’autant qu’une part du répertoire de Mahalia Jackson est commun aux mondes afro et euro-américains. Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Ray Charles, Duke Ellington et le jazz en général ont eu aussi cette mission civilisatrice de l’ensemble de l’Amérique, car l'Amérique dans son ensemble est une terre de colonisation (on l'oublie souvent). Il est dommage pour l’ensemble des Américain/es que cette dynamique se soit progressivement éteinte à partir de la seconde partie des années 1960, par le rouleau compresseur de la société de consommation de masse, y compris de la musique, aboutissant à cette normalisation encore plus effrayante par sa puissance que celle, déjà totalitaire, des pays de l'Europe de l'Est., et qu’on se trouve, encore en 2021, à la juxtaposition de communautés qui se regardent en chiens de faïence plutôt que d’être fondues en une maison commune généreuse, comme le jazz l’a tenté et réussi souvent, et d’autant plus riche, comme la musique et le jazz en ont donné heureusement des témoignages, comme ce disque et plus largement des œuvres comme celle de Mahalia Jackson.
Un bel album de plus de la Diva des Divas, la grande, l'unique Mahalia Jackson, et on espère qu’il ne sera pas le dernier (…). »
Par Yves SPORTIS - JAZZ HOT
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