« Il y a quelques jours, j’avais comme l’impression bizarre de porter une tonne sur les épaules, de trainer mon blues comme une âme en peine, mon ami le blues qui m’observait assis au bout de mon lit dès l’aube, d’avoir les pires difficultés pour me mouvoir jusqu’à la machine à café pour pouvoir enfin ouvrir les yeux, d’avoir le cœur dans le cendrier et le cerveau sans connexion à la Wi-Fi, comme frappé soudainement par l’arthrose et les rhumatismes, les rotules en berne, les tibias en détresse et les hanches qui me lançaient désespérément des SOS… Lorsque j’aperçois par la fenêtre le scooter électrique de ma sympathique factrice qui, pour une fois, ne m’apporte pas des relances de factures impayées, mais une lettre estampillée SOCADISC/ FREMEAUX & ASSOCIES. Et je découvre un somptueux et luxueux coffret 3 CD’s regroupant l’Anthologie Twist Français 1961-1962. Illico, je laisse tomber le Doliprane, la vitamine C effervescente, le synthol et l’arnica et j’introduis le CD1 dans le lecteur encore bouillant de la veille, et d’un seul coup je retrouve la souplesse et l’engouement de mon adolescence, les adducteurs de Johnny Hallyday période Vogue et la frénésie d’un teenager montant les escaliers du Golf Drouot dans les années 60.
Le twist, dont la définition est “se tortiller”, est né d’un titre de Hank Ballard, célèbre chanteur américain de rhythm and blues, doo-wop et rock’n’roll, né le 18/11/1927 à Détroit (Michigan), leader du groupe Hank Ballard and the Midnighters, dont le détonateur fut le titre “The Twist” de 1959, avec une pure rythmique binaire irrésistible et festive, qui sera popularisé dans le monde entier par un certain Chubby Checker en 1960, lors d’une émission TV d’Ed Sullivan et dont la France ne sortira pas indemne. Tous les rockers français les plus irréductibles, Johnny Hallyday, Eddy Mitchell et Les Chaussettes Noires, Dick Rivers et Les Chats Sauvages, Dany Logan et Les Pirates… tous les fils spirituels d’Elvis, de Bill Haley et de Gene Vincent se lanceront alors à corps perdu dans le twist. Le twist, danse emblématique dérivée du rock’n’roll, véritable phénomène sociétal sous la France du Général de Gaulle, qui reprenait seulement son souffle, après avoir découvert le rock’n’roll, le Golf Drouot, les blousons noirs et le premier festival international de rock au Palais des Sports, avec un Richard Anthony blacklisté, une multitude de fauteuils cassés et ce drôle de type qui se roulait par terre, le visage dégoulinant de sueur, qui se faisait appeler Johnny. Les rues du 15ème arrondissement autour de la Porte de Versailles et du Palais des Sports, jusqu’aux rues d’Issy-les-Moulineaux portaient alors les stigmates de “Règlements de Comptes à O.K. Corral”, plutôt que de “Belle et Sébastien”…
Sur le CD1, on retrouve la quintessence du rock’n’twist français avec Johnny Hallyday “Viens danser le twist part 1 et 2”, “Wap-dou-wap”, “Danse le twist avec moi”. Dick Rivers et Les Chats Sauvages avec leur hymne “Twist à Saint-Tropez”, titre composé par deux jazzmen Guy Lafitte et Martial Solal pour combler un trou sur le premier album 25 cm des niçois et que Les Chats n’appréciaient pas vraiment au départ. “Twist à Saint-Tropez” sera remis au goût du jour par Au Bonheur Des Dames avec Eddick Ritchell (Vincent Lamy) et par le groupe belge Télex. “Viens danser le twist” avec la seconde version et l’intro en français, “Twist Twist”, et “Laissez-nous twister”. Eddy Mitchell et Les Chaussettes Noires “Le twist du Père Noël”, “Le twist”, “The twist” de Hank Ballard, “Peppermint Twist” de Joey Dee & the Starliters. Suivent ensuite Dany Logan et Les Pirates, Jean-Claude Chane et Les Champions, Vic Laurens et Les Vautours, Les Pingouins avec leur fameux “Voo-Doo-Twist”, une reprise de LaVern Baker que reprendra également le bluesman français Benoît Blue Boy sur son album “Funky Aloo”. Danny Boy, Danyel Gérard, Billy Bridge, Les Loups Garous groupe originaire de Nice tout comme Les Chats Sauvages, avec Ricky Sailor au chant dans “Twist à La Baule”, Richard Anthony “J’irai twister le blues”, etc…
Le CD2 démontre que pour être dans le vent en 61-62, il fallait faire du twist, même lorsqu’on ne venait pas systématiquement du rock’n’roll, comme les Johnny, Eddy et Dick… ou il fallait le danser. En effet, même les puristes du jazz s’adonnaient, même pas en cachette, au twist: Claude Luther, Claude Bolling, Martial Solal, Guy Lafitte… et que le tout Paris branché, allait twister chez Régine: Sacha Distel, Jean-Pierre Cassel, Françoise Dorléac, Jacqueline Maillan, Nancy Holloway, Dalida… et même Line Renaud se tortillait sur “The Twist”, avec torsions des hanches et des genoux (les genoux qui craquent!), pour se retrouver en photo dans le prochain Paris Match ou Elle. On retrouve Petula Clark, Jacky Seven, Gillian Hills, Nancy Holloway, Sylvie Vartan, Brigitte Bardot, Dario Moreno, Les Chaussettes Noires avec Maurice Chevalier “Le twist du canotier”, Gélou, Burt Blanca, Henri Salvador, Claude François sous le pseudo de Kôko et des artistes improbables comme Suzanne Gabriello, Pierre Doris et même monsieur Serge Gainsbourg avec “Requiem pour un twisteur”…
Le CD3 est quant à lui consacré au twist québécois, avec entre autres Les Sultans, Pierre Nolés ou encore Les Jaguars “Supersonic twist” et Les Habits Jaunes “Miss Boney Maronie” de Larry Williams, titre qui sera repris également par Ritchie Valens, Eddy Mitchell ou John Lennon… Ça prouve qu’il y avait un engouement interplanétaire pour le twist, aux Etats-Unis, au Canada, en Europe mais aussi dans les clubs de Bamako (Mali), à Dakar, à Ouagadougou, à Abidjan, Chubby Checker avait transmis le virus du twist, pour en quelque sorte rendre les luttes sociales et politiques, notamment au Mali, un peu plus douces.
Une fois de plus, c’est un formidable coffret 3CD’s que propose le groupe Frémeaux & Associés, un travail dantesque et anthologique pour nous faire revivre, ou découvrir, les grandes heures du twist francophone. A noter que pour agrémenter les enregistrements, il y a un livret excellement détaillé de 24 pages! Bravo à François Jouffa (journaliste, musicologue…) pour la direction artistique, à Pierre Layani (Jukebox Magazine) pour le texte et la discographie, à Jean-William Thoury (Bijou, Rock & Folk, Jukebox Magazine, écrivain…) pour ses conseils éclairés, tous des passionnés des années 60, et bravo à la sempiternelle dream team de la maison Frémeaux: Patrick Frémeaux, Claude Colombini et Augustin Bondoux. Certains regretterons peut-être l’absence de Lucky Blondo de cette anthologie, mais ne boudons pas notre plaisir, car une sélection cornélienne s’imposait aux différents susnommés. Ah oui, au risque de me répéter, voire de passer pour un malade souffrant de sénilité précoce, ce coffret est une énième fois INDISPENSABLE! »
Par Serge SCIBOZ – PARIS MOVE