« L’ombre portée de ce chef d’œuvre n’a pas fini de s’étendre » Paris Move

« La genèse de l’un des monuments les plus saillants de la production théâtrale, musicale et cinématographique de la seconde moitié du vingtième siècle débuta en 1956. À l’époque, telle que véhiculée par James Dean dans “La Fureur De Vivre” et Marlon Brando dans “L’Équipée Sauvage”, l’émergence d’une nouvelle forme de délinquance juvénile trouvait ses premiers échos dans celle du rock n’ roll (il n’est que d’observer les dégaines du jeune Elvis et de Gene Vincent & His Blue Caps pour en mesurer l’impact). Broadway s’empara alors de la thématique des bagarres de gangs urbains pour élaborer une œuvre dont l’universalité et la pertinence se vérifient encore de nos jours. Alors qu’une lecture superficielle n’en suggérait qu’une habile transposition new-yorkaise de la rivalité mortifère entre Capulets et Montaigus depuis le “Romeo et Juliette” de Shakespeare, le sous-texte de “West Side Story” s’avère d’une richesse et d’une complexité plus profonds encore. Les affrontements des bandes s’y inscrivent en effet au cœur des problématiques urbaines émergentes (dans une Amérique en panne d’assimilation de ses diverses communautés), et prophétisent les émeutes sociales des décennies à venir. Si les clins d’œil à la tradition du musical de Broadway abondent, poussant parfois jusqu’au pastiche (“Gee, Officer Krupke” renvoie ainsi d’évidence à l’esthétique de Kurt Weill dans son “Opéra de Quat’ Sous”, et “Somewhere” au “Porgy & Bess” de Gershwin), la singularité de “West Side Story” n’en finit pas moins d’étonner. La Première du spectacle subséquent au Winter Garden de Broadway, le 26 septembre 1957 se déclina en pas moins de 732 représentations, avant de connaître un succès équivalent lors d’incessantes tournées (qui se prolongent encore de nos jours!). Véritable blockbuster avant la lettre, “West Side Story” ne pouvait manquer d’être porté à l’écran, et ce fut chose faite en 1961, sous la direction conjointe de Robert Wise et du chorégraphe Jerome Robbins. Le principal mérite de ce double CD consiste à assembler non seulement les deux enregistrements historiques de cette œuvre majeure (la B.O. du film, ainsi que celle parue en 1957 dans sa version théâtrale, sous les directions respectives de Johnny Green et de leur compositeur, le titanesque Leonard Bernstein), mais également un panel significatif de leur déclinaison sous l’égide de jazzmen prompts à s’en emparer. Du Dave Brubeck Quartet et André Prévin & His Pals (dès 1960) à l’alerte Oscar Peterson et son Trio deux ans plus tard (éblouissantes adaptations free form du “Jet Song”, de “Somewhere” et de “Maria”) jusqu’à une certaine école française actuelle (Ludovic de Preissac Septet, RP Quartet, The Movies Swingers), Frémeaux (sous la direction artistique de Teca Calazans et Philippe Lesage) témoigne ainsi que l’ombre portée de ce chef d’œuvre n’a pas fini de s’étendre pour la postérité. Ne manquent à cette copieuse anthologie (pour des raisons évidentes de droits) que deux des transpositions plus fameuses de ce livret dans le registre rock et pop: celles du “Jet Song” par Alice Cooper (“Gutter Cat vs The Jets” en 1972, dans “Shool’s Out”) et de “Something’s Coming” par Yes en 1969… “When you’re a Jet, ou stay a Jet”! »

Par Patrick DALLONGEVILLE – PARIS MOVE