Poursuivant son travail de consignation du patrimoine, la librairie sonore Frémeaux & Associés propose une compilation de poètes français mis en chanson à travers la production discographique de 1951 à 1962. Cette décennie et quelques poussières, en adaptant les poètes, croyait-elle plus que notre époque aux vertus de l'éducation populaire ? Si la pochette représente le patriarche Victor Hugo (qui ne compte ici que deux titres, tous deux par Brassens), c’est Aragon qui ouvre le bal avec Ferré, Brassens - mais sans Ferrat, qui viendra plus tard. Petit décompte du palmarès ? Au nombre des adaptations, Ferré arrive largement en tête avec quinze titres sur les cinquante-cinq que compte la compilation (Kosma neuf, Brassens six) - on s’en serait douté. Au nombre des poèmes adaptés, Baudelaire compte dix titres, Prévert neuf - pauvre Verlaine (sept), qui pensait avoir tant oeuvré pour « la musique avant toute chose » ! Peut-être est-ce du côté des curiosités qu'il faut chercher le piquant de cette compilation ? Trenet ne s'illustre que dans Verlaine, swinguant les vers bien connus de Chanson d'automne (« Les sanglots longs... »), mais le plaisir de cette anthologie revient à Gainsbourg. Car on connaît moins les adaptations de l'auteur de Ronsard 58 (Ronsard étant du reste absent, comme les poètes de la Brigade !), faisant siens les mots de Baudelaire (Le serpent qui danse dans Baudelaire) et de Musset (une strophe de La nuit d'octobre avec l’orchestre d'Alain Goraguer) sur deux calypsos plaisants, sensuels et légers... quand Ferré vocalise et chevrote avec grandiloquence frôlant le lyrique. C'est pas la quantité qui compte ! D'ailleurs, de Rutebeuf à Queneau, le coffret offre bien des différences de ton, et cela tient plus à la musique qu'au propos. Quel monde, d’un baryton à la gouaille de la Muse de Saint-Germain-des-Prés ! Car il faut aussi compter avec les interprètes : Gréco certes, Germaine Montero, Marianne Oswald, Montand chantant Prévert mis en musique par Kosma - le trio interprète-poète-compositeur le plus présent dans le coffret ave six titres, dont En sortant de l’école, Les feuilles mortes, Barbara. D'ailleurs il est à se demander si Duparc. Debussy, Fauré et Poulenc (seize titres interminables à eux quatre) n'éloignent pas davantage la chanson de la poésie qu'ils ne l'en rapprochent. La chanson c'est cette légèreté, l'accessibilité... c’est la possibilité pour l’auditeur de reprendre un air. Un texte de Philippe Lesage cadre en théorie les liens entre chanson et poésie, rendant hommage au travail de Louis-Jean Calvet, auteur de 100 ans de chanson française. « Il n'est bon bec que de Paris » disait Villon ; cette édition bilingue français-anglais montre le chemin que, par sa musicalité, le français peut prétendre emprunter mondialement : lors des cérémonies d'ouverture et de clôture des J.O. de Paris 2024, n'était-ce pas le sens de cette digne représentation des antiennes délivrées en français ?
Par F. G - Hexagone