Allons enfants de la batterie… Batteur lui-même (et non des moindres), Guillaume Nouaux est déjà l’auteur de “Jazz Drums Legacy” chez 2Mc Éditions, et co-auteur des deux tomes de “La Section Rythmique” chez Frémeaux & Associés. Il nous livre cette fois le fruit de trois décennies de recherches aux sources louisianaises du jazz, et concomitamment, de celle de l’instrument qui en cristallisa les caractéristiques (et s’en avère en quelque sorte le produit dérivé). D’une rigueur et d’une exhaustivité impressionnantes, cet ouvrage ne manque toutefois pas du souffle épique sans lequel tout historien ne peut emporter l’adhésion du lecteur. Car ce que démontre ici Nouaux, par-delà le recensement des origines complexes du jazz en terres créoles vers la fin du XIXème siècle, c’est en quoi l’accouchement sui generis d’un courant musical révolutionnaire préfigure autant qu’il l’accompagne un bouleversement technologique. Issu des brass bands itinérants typiques du folklore néo-orléanais (judicieusement dits marching bands), le “jass“, comme on le nommait à l’origine, est en quelque sorte la résultante d’une sédentarisation progressive de ses instrumentistes. En effet, dès lors que ces orchestres s’installaient dans des théâtres, cabarets et autres garden parties, la déambulation n’était plus de mise, et cette immobilisation favorisa l’évolution pragmatique des percussions. Certains joueurs de grosse caisse ambulants se mirent à imaginer des dispositifs permettant d’actionner simultanément leur instrument principal et la caisse claire (jusqu’alors dévolue à un tiers). Et en l’actionnant au pied, posée au sol, de libérer suffisamment le bras gauche pour lui permettre de jouer de cette dernière tout en se consacrant à d’autres accessoires. Si Jean-Sébastien Bach n’inventa certes pas l’orgue ni le clavecin, le jazz est indéniablement l’un des premiers courants musicaux modernes à avoir suscité autant d’innovations techniques. Ce ne sont pas les fabricants établis qui conçurent la batterie, mais bien une kyrielle de musiciens débrouillards, qui tels des Monsieur Bricolage au concours Lépine, élaborèrent, par tâtonnements successifs, des systèmes mécaniques permettant de développer cet instrument tel que nous le connaissons de nos jours… Pour nous conter ce processus, Guillaume Nouaux déploie sur près de 400 pages un panégyrique signalétique de plus de 200 batteurs locaux (pour la plupart méconnus ou oubliés), dont il met en exergue quelques figures parmi les plus emblématiques et significatives (notamment les historiques Baby Dodds et Zutty Singleton). À nos morts, la batterie reconnaissante !
Par Patrick Dallongeville – Paris-Move