Le batteur Guillaume Nouaux vient de signer un livre dont le titre est « La naissance de la batterie » (Frémeaux & Associés). On sait les qualités d’interprète, de leader ou de sideman, de pédagogue aussi de Guillaume Nouaux qui a été plusieurs fois couronné, notamment par l’Académie du Jazz et par le Hot Club de France. Personne qui s’intéresse de très près aux « drums » n’oublie ses ouvrages techniques. Tout le monde s’est enthousiasmé (sauf peut-être quelques grincheux – il y en a toujours des gens comme ça) pour ses enregistrements, comme « Clarinets Kings » ou « Stride Pianos Kings. »
C’est avec grand intérêt que l’on doit ouvrir son dernier né sous forme de 400 pages. « Grand intérêt » assurément, mais peut-être pas pour les seules raisons d’une sorte d’histoire de la batterie jazz. D’abord parce que la batterie c’est le jazz. C’est l’instrument qui s’inventa en même temps que le jazz. Et l’on peut dire ainsi que l’histoire de ces baguettes, peaux et autres caisses et cymbales c’est sans aucun doute la même histoire que celle du jazz. Ici, dans le livre de Nouaux, on découvrira assurément tout ce que l’on peut connaître dans ce domaine. Et, ce n’est pas peu dire ! Parce qu’enfin tout ça « nous en bouche un coin. » L’auteur est précautionneux néanmoins : il agit en historien et il le dit. Il sait qu’il y a, concernant l’origine, parfois plus des légendes que des certitudes. Mais l’auteur se forge bien davantage qu’une opinion. Par sa logique propre, par son attention minutieuse des faits rapportés. Donc, l’histoire commence à La Nouvelle-Orléans, une sorte déjà de « ville-monde » qui fut, peut-être bien espagnole, avant d’être ceci ou cela. Ce qui expliquerait – c’est une idée comme une autre – que le mot « jazz » lui-même ait désigné cette musique, somme toute étrange. Mais ce n’est pas ici le propos de Nouaux…
Ce que nous devons retenir de ce livre est bien plus important que tout cela. Refermées, les 400 pages que l’on peut lire d’un trait ou deux, nous disent autre chose. Si on lit entre les lignes, si on contextualise, si l’on prend un peu de « hauteur », de distance…en même temps que l’on s’y plonge aussi profondément qu’il est possible, ce qu’il faut retenir c’est qu’il y a là toute l’histoire du jazz. Mais pas son histoire « factuelle, » finalement non, pas son histoire : il vaudrait mieux dire sa « généalogie. » Il me semble en effet qu’il faut proposer de ce livre la lecture suivante : le jazz est la musique de la liberté, la liberté des hommes et la liberté de la musique. Il y a bien sûr des règles, mais parfois, moins il y en a, plus elles sont détournées ou transgressées, plus l’invention s’offre à qui veut la découvrir, plus il y a de jazz. Le jazz n’est pas une musique « réglée » comme on l’aurait dit « du papier à musique. » Comme un temps, certain, du côté du Sud-Ouest, l’aurait voulu et aurait voulu l’imposer. Si l’on veut bien le dire autrement : le jazz est une musique qui s’offre, qui se dénude, qui se donne. Là est la liberté. Comme donation de soi.On me dira que cela n’a rien à voir avec la batterie. En deux mots, je voudrais affirmer que si. Et même au plus haut point (ce qui, de ce fait, les malicieux l’auront décelé, fait plus que deux mots). Parce que le batteur est sans doute celui (ou celle – et dire « la batteuse » serait mal venu) qui s’implique le plus : le corps tout entier, absolument tout entier. Et donc l’âme aussi. Ou plutôt : de même !
Ce que montre Guillaume Nouaux, peut-être « entre les lignes, » mais sans aucun doute, est tout à fait passionnant : la naissance d’un genre musical qui cependant n’en n’est jamais un, se déformant, se reformant, se déstructurant et se retrouvant sans cesse et peut-être sans but et sans raison et qui (de ce fait ?) invente l’instrument suprême, identique en tout point au corps du musicien, véritable épreuve physique en même temps qu’épreuve de soi et qu’épreuve du monde tout entier. Un voyage infini pourrait-on dire. Et, en 400 pages, le tour du monde accompli. Mais sans fin.
Par Michel Arcens – Notes de Jazz