« Le blind test est l’une des formes les plus raffinées du supplice mondain. Au cas où vous ne sauriez pas de quoi il retourne, cela consiste à soumettre vos convives à l’écoute d’une série d’œuvres sonores, et de les mettre au défi de deviner l’identité masquée de leurs auteurs respectifs. Torture d’une évidente facilité pour qui détient bien entendu les clés de ces énigmes : je me souviens avoir ainsi collé Popa Chubby en personne, sur un instrumental de B.B. King extrait du bien intitulé “Chess Rarities” (à la plus grande perplexité de l’intéressé). Compilateur de cette anthologie, Jean-Baptiste Mersiol a pris le parti d’y privilégier raretés et singularités technologiques. Ainsi de “The Sheik Of Araby” par Sydney Bechet, précoce spécimen d’enregistrement multipistes, où le patriarche du New-Orleans sound assurait seul dès 1941 les parties de clarinette, saxophones alto et ténor, piano, batterie et contrebasse. Forcément quelque peu fourre-tout, cette collection mêle l’incunable à l’anecdotique. Interprétés par Louis De Funès et Robert Dhéry, “Dans Mes Godasses” et l’étonnant “Clair De Lune À Maubeuge” par un Claude François débutant préfigurent ainsi les élucubrations de Jacques Dutronc et Boby Lapointe, tandis que les chansons mettant en scène le babil des bébés (“Baby Sittin’ Boogie” par Buzz Clifford et “Baby Twist” par Will Branden Und Der Kleine Elizabeth) côtoient “Improvisez Le Shout” par Clo-Clo et Danyel Gérard (transposition yé-yé du “Shout” des Isleys), et “Le Twist Du Canotier” par Maurice Chevalier et les Chaussettes Noires. À signaler cette touchante reprise instrumentale du “Que Reste-t-il De Nos Amours?” de Trénet par Boris Vian en 1944, ainsi que “Ah Quand Les Saints” par Henri Salvador avec l’orchestre de Quincy Jones, et “Maman, Papa” par Patachou et Georges Brassens. Pour le reste, si ouïr ici la future mamie Line Renaud susurrer lascivement à huit reprises le mot “sexe” sur l’instrumental lounge jazz du même titre (paroles de Loulou Gasté!) donne une idée de l’évolution des mœurs au cours des six décennies écoulées, les alternate mixes de “Words of Love” par Buddy Holly, “La Bamba” par Ritchie Valens et “Graine d’Ananar” (en version symphonique) par Léo Ferré ne compensent pas l’inclusion des deux instrumentaux comic-jazz de Dean Elliott & His Big Band (lesquelles n’atteignent pas la cheville des délires contemporains de Spike Jones et Henry Mancini). Bien que foncièrement hétéroclite, ce cabinet de curiosités audiophiles satisfera principalement les collectionneurs vintage, cible bien connue de la maison Frémeaux & Associés. »
Par Patrick DALLONGEVILLE – PARIS MOVE