« Elle éclaire l’art de la mélodie du saxophoniste » par Robert Latxague

« On le sent, on le perçoit aussitôt : sa langue vernaculaire de chant, c’est bien celle du Brésil, pays qu’elle a adopté pour ses musiques, pays continent dont elle a arpenté les scènes, terre natale du père musicien de ses enfants. Alors dans sa bouche, dans la vibration douce de ses cordes vocales Tarde aussi bien que Vera Cruz ou encore Caminho Solar– version chantée du mythique Footprints des années d’or de Blue Note- sonnent aux accents parfaits cariocas, nordeste et compagnie. Pourtant le sujet de ce nouvel album passe bel et bien par une référence -référence ?- aux talents de compositeurs de Wayne Shorter. Sa voix suave, mesurée, maîtrisée l’y sert au premier chef. Elle éclaire l’art de la mélodie du saxophoniste sacralisé chez Miles Davis déjà, « mondialisé » via Weather Report pour ensuite un aboutissement au sein de son quartet jusqu’à ce jour (My Children of The night, Infant Eyes) Justement, comment ne pas souligner, comment passer sous silence cette façon très personnelle dans Speak no Evil boosté par le changement de tempo via la voix, le phrasé, de marquer les découpes, les articulations de la partition. Pour l’aider dans cette tâche ambitieuse Manu Le Prince bénéficie du travail d’orfèvre -d’horloger de l’impro ?- d’un trio de cubains installés à Paris. Felpe Cabrera, son de basse chaude à souhait ; Lukmil Perez, rythmique musicale de baguettes souples ; Irvin Acao aux sax -mais instigateur aussi de subtils arrangements- et sa prodigalité en souffles de rondeurs, de nuances comme il sied à celui qui souhaite passer pile dans les pas chassés de Shorter. Surtout en ce tableau d’humeurs ne faudrait-il pas oublier Leonardo Montana. D’abord car les racines brésiliennes du pianiste confèrent toute sa légitimité à sa participation à ce projet. De quoi apporter au naturel à cette palette de musiques shorteriennes le sens des couleurs idoines, autant de traits de lumières nécessaires également dans la construction de son discours de piano (Blue Cat).
Son parcours, ses expériences l’avaient conduite hier des voix de Magma à celle de Urban Sax, au compagnonnage musical entr’autres de Francis Lockwood jusqu’à celui plus récent de Minino Garay pour un projet enregistré fin 2017 sur des compositions de pianistes de jazz. Avec toujours au beau milieu de ces étapes nombre d’incursions vocales pour et par des périples tracés au Brésil. Avec cet album Children of The night, ouvrage solaire réalise en hommage à la constellation Wayne Shorter, Manu Le Prince signe un bel et beau retour à de riches échos de jazz. »
Par Robert LATXAGUE