Quand on s’est employé pendant des décennies à combiner les douze notes de mille manières, exécuter dix mille rythmes, explorer cent mille sonorités, que reste-t-il ? Peut-être le désir simple de raconter une histoire. Le jazz a beau inventer l’instant, il demeure musique, donc mémoire. Dans les tréfonds de celle-ci toujours surgit l’enfance : les premiers contes et berceuses, ces yeux qu’on levait vers maman pour qu’elle remette le disque ou chante encore. Le souvenir est reconstitution, narration. Et c’est bien ce double mouvement d’avant et d’arrière, d’avènement et de rétrospection qui détermine la musique d’Hervé Sellin (piano), Jean-Paul Celea (contrebasse) et Daniel Humair(batterie). Des pièces imprévisibles dont chacune donne l’impression d’un être qui parle, raconte son histoire, parfois sans queue ni tête, ailleurs soigneusement agencée. La présence charnelle, conquérante de Sellin impressionne, pas moins le chant discret de Celea, le pointillisme spatial de Humair. Redéfinir aujourd’hui le jeu en trio semblait impossible. Mais ce mot-là, décidément, le jazz et ses narrations infinies ne le connaissent pas.
Par Louis-Julien NICOLAOU - TELERAMA