« Disparu l’an dernier à l’âge enviable de 94 ans, Burt Bacharach laisse en héritage le fruit de sept décennies d’une foisonnante activité musicale. Surtout connu pour son tandem avec le parolier Hal David (avec lequel il fourbit quantité de hits à des artistes aussi emblématiques que les Shirelles – dont le “Baby, It’s You” fut repris par les Beatles eux-mêmes – Gene Pitney, Barbra Streisand, Dusty Springfield, et bien sûr Dionne Warwick), il débuta sa carrière en tant qu’arrangeur de Marlene Dietrich, pour la conclure en collaborations à peine moins prestigieuses (de Diana Krall à son mari Elvis Costello, en passant par Ronald Isley, des Isley Brothers). Parmi la pluie d’hommages que suscita sa disparition, celui que lui rend à présent la chanteuse franco-américaine Stephy Haik se distingue par sa démarche. Sous la houlette du remarquable pianiste et arrangeur Olivier Hutman, et avec le concours d’un aréopage de fines lames (Sylvain Romano et Jean-Claude Ghrenassia, basse, Steve Williams et Dédé Ceccarelli, drums, Hugo Lippi, guitare, et Hermon Mehari, trompette), elle y donne en effet libre cours à des relectures jazz et swing de quatorze extraits significatifs du répertoire du grand disparu. De “I’ll Never Fall In Love Again” à “A House Is Not A Home”, c’est d’évidence la période Hal David et Dionne Warwick qu’elle privilégie (avec pour exception le “God Give Me Strength” que Bacharach co-signa avec Elvis Costello), mais ses versions de standards pourtant archi-connus (“Walk On By”, “Trains And Boats And Planes”, “Always Something There To Remind Me” – dont notre Schmoll national tira “Toujours Un Coin Qui Me Rappelle” – ou encore “I Say A Little Prayer” et “What The World Needs Now”) s’avèrent au niveau de divas telles qu’Helen Merrill, autant que de jubilatoires réinventions. Mentions spéciales à “My Little Red Book” (où elle évoque tour à tour Sarah Vaughan et Shirley Bassey avec un swing irrésistible), à “The Windows Of The World” (dans le registre soft bossa-jazz où excellait Stan Getz auprès du couple Gilberto), ainsi qu’à sa performance quasi-a capella sur “Don’t Make Me Over” (juste soutenue par une contrebasse), et au duo qu’elle forme avec Bruce Johnson sur “Wives And Lovers”. À la console, le non moins légendaire Dominique Blanc-Francard assure une captation aussi soyeuse qu’organique, et on fond littéralement à l’audition de ce superbe hommage, dont la réécoute promet un enchantement longuement renouvelé. L’occasion de redécouvrir une œuvre majeure de l’american songbook du siècle dernier, et si ce n’était déjà fait, de sacrer l’avènement d’une vocaliste de premier ordre. »
Par Patrick DALLONGEVILLE - PARIS MOE