« On connaît l’adage : même les plus grands ont commencé petits. Mais au registre des enfants prodiges, il en fut un qui surpassa en précocité Frankie Lymon, Jonny Lang et Monster Mike Welch (mais ni Mozart, ni Jordy, ni Mickey Rooney, ni Judy Garland tout de même), puisque celui que l’on désignait à ses débuts sous le sobriquet de Little Stevie Wonder enregistra son tout premier single à la veille de son douzième anniversaire… Aveugle de naissance (à la suite d’un incident de couveuse!), le dénommé Stevland Hardaway Judkins publia dans la foulée deux premiers LPs et deux autres singles, dont l’irréprochable Maison Frémeaux nous livre à présent l’intégralité des sessions captées “cette année-là” (soit 25 titres). S’ouvrant sur l’instant-smash-hit “Fingertips”, cette collection s’entame par son tout premier album (entièrement instrumental, et sobrement intitulé “The Jazz Soul Of Little Stevie”). En neuf plages (et moins d’une demi-heure), ce premier essai propulsa d’emblée notre surdoué précoce au frontispice des American Bandstands, grâce à une promotion savamment agencée par Berry Gordy, patron de Tamla. Toutes de la plume de Stevie, on y perçoit l’influence prégnante des orchestrations soyeuses de Quincy Jones, Lalo Schifrin et Ray Charles, qui dominaient alors les charts d’un rhythm n’ blues en pleine expansion. Le timbre encore juvénile du gamin ne s’y faisait pas encore entendre, mais son jeu d’harmonica (“Some Other Time”, “Session Number 112”), d’orgue (“Wondering”) et de piano (“Bam”) s’y distinguait déjà, au milieu de percussions latin-jazz débridées (“Soul Bongo”, “Manhattan At Six”) et de cuivres triomphaux (“Paulsby”, en hommage à son mentor et prof de piano, Clarence Paul). Pour son second LP de l’année, notre Wonder kid fut enfin autorisé à donner de la voix, et c’est heureux puisqu’il s’agit de l’hommage d’un jeune disciple envers l’un de ses modèles. “Tribute To Uncle Ray” s’avère en effet un coup de chapeau appuyé au grand Ray Charles, et il eût été dommage de se contenter en la matière de versions instrumentales de certains de ses classiques. En dépit de leur fidélité aux arrangements originels, on ne peut contester le décalage qu’y introduisit le registre vocal pré-pubère de Little Stevie dès sa version de “Hallelujah I Love Her So”, même si la plupart de ses réinterprétations se hissent à un niveau plus qu’honorable (ainsi de “Don’t You Know”, “The Masquerade”, “Mary Ann”, “Come Back Baby” et “Drown In My Own Tears”, où sans atteindre encore la dextérité du Genius, le clavier de Stevie et ses vocalises n’en emportent pas moins le morceau). Culminant leur timing cumulé à une petite heure, ces deux Long Players s’augmentent judicieusement des faces A et B des trois singles qui les précédèrent, au rang desquels on distinguera sans peine les deux versions (une mid-tempo-twist et une lente bluesy) de “I Call It Pretty Music, But The Old People Call It The Blues”. Seule réserve relative à cette compilation, on eût apprécié que l’anonymat des session men qui accompagnèrent le gamin lors de ces séances fusse enfin levé (lors de sa future réédition, peut-être?). Sinon, rien à redire, ça reste du nanan de bout en bout. »
Par Patrick DALLONGEVILLE – PARIS MOVE