« Transformer un inventaire encyclopédique en véritable thriller » Paris Move

Bien que quasiment constitués dès 1956, les Beatles mirent près de six années avant de signer sur Parlophone (après avoir notoirement échoué lors de leur audition chez Decca). Jimi Hendrix rama quant à lui à peine moins de temps entre Seattle et New-York, avant d’être “découvert” par Chas Chandler et “importé” à Londres. Et Rory Gallagher, lui aussi comme tant d’autres, “paya ses dettes” à la dure avant de pouvoir percer à la tête de ses trios successifs. Mais en Jamaïque au cœur des sixties, l’affaire était bien plus ardue encore pour tout jeune musicien en devenir. C’est précisément sur ces années d’apprentissage et de vaches faméliques que se concentre ce livre de Bruno Blum, assisté de Roger Steffens (spécialiste mondial incontesté de la carrière de Bob Marley) et de Leroy Jodie Pierson (musicien de blues, historien et collectionneur de reggae). Durant les six années qui précédèrent leur signature chez Island (et leur révélation mondiale), les Wailers originels (soit, outre Marley, Peter Tosh, Bunny Wailer et Rita Marley) connurent en effet une longue série de déceptions et de déconvenues, dont l’occurrence eût suffi à décourager moult aspirants moins obstinés qu’eux. Sans occulter la dimension véreuse (voire carrément mafieuse) de certains des vautours qui se relayèrent sur leur parcours initiatique, Bruno Blum rend compte ici de la quête quasi-mystique (digne de celle des manuscrits de la mer Morte) qu’il mena avec ses comparses un quart de siècle durant pour retrouver, dater, classer et finalement éditer plus de deux cents enregistrements de Marley et sa clique, jusqu’alors demeurés confidentiels (voire inédits). Pour certains longtemps disséminés sur des compilations hasardeuses (au mastering bâclé ou inexistant), ces témoignages essentiels de la genèse de l’un plus importants mouvements culturels et musicaux de la seconde moitié du XXème siècle furent enfin publiés en 2002 dans leur splendeur originelle, sur une série de 15 CDs intitulés “The Complete Bob Marley & The Wailers 1967-1972”. C’est le label français JAD-Pense À Moi (devenu par la suite 55 Records) qui accomplit ce miracle, mais ses artisans n’en furent pas moins bientôt empêchés par une série de conflits d’intérêts et d’obstacles juridiques suscités par la voracité de managers indélicats, et celle de majors soucieuses de préserver leur monopole quant à la gestion posthume de cette potentielle mine d’or. Outre sa discographie chronologique et minutieuse, cet ouvrage se distingue par la qualité de maints témoignages recueillis (depuis le remarquable et regretté Aston “Family Man” Barrett, bassiste quasi-permanent des Wailers à partir de 1970, jusqu’à cet illuminé notoire de Lee “Scratch” Perry), et par le narratif d’un Blum capable de transformer un inventaire encyclopédique en véritable thriller.

Par Patrick DALLONGEVILLE – PARIS MOVE