Ce qu'il y a de bien avec les jazzmen parisiens du dessus du panier - dont une bonne partie vient de province - c'est de les retrouver mélangés en ordre dispersé et en effectif variable dans diverses formules avec un art du mouvement qui confine à l’ubiquité. Un avantage avec eux, c'est que la qualité est presque toujours au rendez-vous, les ratés tenant plus à une erreur de concept ou de casting complémentaire qu'à des insuffisances techniques ou une quelconque panne dans le "jazzisme".
Avec Louis Prima Forever, aucun risque de fourvoiement de cet ordre : concept éprouvé, casting irréprochable, arrangements tournés vers le swing, vont de pair avec une indéfectible affection pour notre chère musique. Le jazz, ils (et elle) le connaissent, le respectent et en font quelque chose... pulsation et langage... et ça fait longtemps que ça dure. Les débutants que nous avons connus sont devenus de grands professionnels sans perdre leur enthousiasme d'amateurs, ils ont fait leur chemin, variant les sauces sans jamais perdre de vue les fondamentaux, et les revoilà ici réunis autour d'un répertoire populaire qu'ils exploitent avec la manière... quelle que soit la formule, le jazz est la musique de tout le monde et qui a vocation à se partager avec tout le monde, surtout lorsqu'il s'agit de swinguer Noël, fête populaire s'il en est.
On ne le répétera jamais assez : dans le jazz, tout part de la rythmique. C'est le soutien et la densité du trio formé par Stéphane Roger (batterie), Nicolas Peslier (guitare) et Enzo Mucci (contrebasse) bénéficiant aussi de l'appui du piano de Fabien Saussaye, qui permet à la formation de se propulser en souplesse et d'exploiter les excellents arrangements "sur mesure de Michel Bonnet. Il se passe beaucoup de choses dans ces arrangements astucieux (qui ne négligent pas le gag), et on devine que la mise au point d'un tel répertoire a demandé beaucoup de travail. Et du travail, il y en avait... on savait par exemple que « Maryland, my Maryland » avait des affinités avec « Mon beau sapin », et l'arrangeur nous en offre une excellente confirmation, reliée à « Stille nacht, heilige nacht »... mais on peut se demander ce que penserait du traitement opéré le modeste prêtre autrichien qui, à la Noël 1818, composa, dit-on en catastrophe, en bouche-trou, en dix minutes et sur un coin de la table de sa sacristie ce que nous connaissons sous le nom de « Douce nuit », en entendant son morceau swingué en shuffle... j'imagine aussi la tête de Tino Rossi à l'audition de son « Petit Papa Noël » sauvagement traité en instrumental façon louisianaise.
En front line, le même Michel Bonnet tient la trompette, Patrick Bacqueville le trombone et Claude Braud le saxophone ténor, mais ces trois-là se chargent aussi des choeurs. Tous trois sont des solistes dont la réputation n'est plus à faire, et il en est de même pour Nicolas Peslier (« We wish you a merry Christmas, Santa Claus is coming to town »). Dans son style habituel, le rugueux ténor de Claude Braud est mis en valeur dans la plupart des morceaux et le trombone de Patrick Bacqueville dans « We wish you a merry Christmas, Let it snow! Let it snow! Let it snow! » Michel Bonnet s'est réservé un peu de place en solo (« Jingle bells, Noël blanc Christmas dreaming »).
Tout ce petit monde sert aussi d'écrin à la chanteuse, comme il se doit dans les orchestres "à chanteuse" Elle, c'est Pauline Atlan, dont le talent expressif se double d'une solide culture jazzistique - et tout le monde ne peut pas en dire autant chez les dames vocalistes ! Elle est de cette école qui sait swinguer avec légèreté et se "poser" dans les arrangements, ce qui est mis particulièrement en lumière dans « Santa Claus is coming to town » ou « Christmas dreaming ». Elle partage les vocaux avec Patrick Bacqueville, très décontracté et également talentueux en la matière, qu'il chante en anglais ou en français. Pour ces morceaux-là, les rôles s'inversent et Pauline devient choriste.
Il n'est jamais facile de réaliser un entier album "à thème", et encore moins lorsqu'il s'agit de chants de Noël, répertoire pas toujours évident à aborder sous l'angle du swing. Avec Louis Prima Forever, on ne s'en retrouve pas moins devant un album parfaitement réussi, bien conçu et bien réalisé. Pour un peu, cette galette nous ferait croire au Père Noël... Elle est arrivée un peu tard sous le sapin, mais vous pourrez toujours en faire un cadeau significatif à qui vous voudrez et à la fin de cette année... sans oublier d'en profiter entre-temps !
Par Laurent VERDEAUX – BULLETIN DU HCF