Disparu le 3 novembre dernier, Quincy Jones laisse en héritage le fruit de sept décennies d’une carrière musicale qui l’aura vu gravir les échelons du succès jusqu’à leur plus haut niveau. Si les média grand public ont surtout célébré l’arrangeur et producteur aux ventes record (il fut en effet l’éminence grise derrière le fameux “Thriller” de Michael Jackson, qui s’écoula à plus de 60 millions d’exemplaires, reléguant ainsi “Dark Side Of The Moon” au rang d’aimable amuse-bouche), l’amateur de jazz ne manquera pas de souligner que “Q” (comme on le désignait dans le métier) débuta modestement aux côtés de Ray Charles, avant d’enregistrer ses premiers singles à vingt ans (lors d’une tournée scandinave en tant que trompettiste de Lionel Hampton), puis d’endosser l’emploi d’arrangeur (et occasionnellement celui de directeur musical) auprès des frangins Dorsey, Sarah Vaughan, Dinah Washington et Cannonball Adderley, ainsi que de Sinatra, Barbara Streisand et Tony Bennett, sans oublier bien entendu son ami Ray. Lors d’une tournée internationale avec Dizzy Gillespie, il se lia également avec Lalo Schifrin, avant d’enregistrer en 57 ses deux premiers 30cm en leader chez Paramount, et de s’établir la même année à Paris, pour y suivre l’enseignement de la mythique Nadia Boulanger auprès du Conservatoire Américain de Fontainebleau. De retour aux States, il fut engagé en tant que directeur artistique par le label Mercury, chez qui il publia coup sur coup en 59 “The Birth Of A Band” et “The Great Wide World Of Quincy Jones”. Le casting de ces sessions énumère une bonne part de la crème des requins de l’époque (de Kenny Burrell à Tito Puente et “Patato” Valdes, en passant par Shelly Manne, Lee Morgan, Ernie Royal, Paul Chambers, Jerome Richardson, Clark Terry, Hank Jones, Phil Woods, Lalo Schifrin et Carlos Gomez, parmi bien d’autres encore). Autant dire que la maison Mercury ne lésinait pas sur les moyens et que, bon sang, ça jouait sévère (mais strictement en place). Remarquablement mastérisé, ce coffret propose rien moins que ses huit premiers albums studio. Si les tout premiers (“That’s How I Feel About Jazz”, “Go West, Man !” et “The Birth Of A Band”) s’inscrivent dans la veine cool orchestrale alors en vogue, le flair légendaire du bonhomme, associé à ses indéniables talents d’arrangeur et de compositeur, l’amena bientôt à orienter son jazz vers sa fonction originelle au temps des big bands des décennies précédentes, à savoir l’invitation à la danse (‘I Dig Dancers”, à contre-courant de la révolution bop qui lui précéda), pour culminer en 1962 avec le “Big Band Bossa Nova” qui clôt le quatrième CD de ce coffret, et s’ouvre sur le hit planétaire “Soul Bossa Nova”. À noter: cette anthologie s’accompagne en bonus des quatre premières plages enregistrées par Quincy en 1953 avec les Swedish-American Allstars, arrondissant le compte à pas moins de 78 titres, dont le livret rédigé par Olivier Julien dresse le menu. Bref, si l’on est encore loin de “Billie Jean” et consorts, rien n’empêche ici de se trémousser pour autant. Ne serait-ce que pour mesurer l’influence marquante de Quincy sur l’œuvre orchestrale de Brother Ray (avec lequel il enregistra à la même période “Genius+Soul=Jazz”), voici donc un recueil hautement recommandable. Comme l’énonça Brassens en d’autres termes : le temps ne change rien à l’affaire, quand on est bon, on est bon.
Patrick DALLONGEVILLE – Paris-Move