« Anti-intellectuel type » par Écouter Voir

Frémeaux & Associés, dont on connaît le riche catalogue constitué en très peu d’années au service des musiques du monde, musiques populaires françaises et étrangères, jazz, gospel, consacre aussi d’imposants coffrets à d’exceptionnelles anthologies : on se souvient de celles dédiées aux deux Gabin, père et fils, à ce tout Trenet encore largement en devenir, qui explore exhaustivement les années fondatrices de ce mythe, ou encore du monument – annuaire édifié à l’histoire de la chanson française que représente le corpus des cinglés du music hall, élaboré avec Jean Christophe Averty. Non moins surprenant, dans un autre registre, un double coffret de quatre CD, nous est aujourd’hui proposé de l’œuvre enregistrée de Jean Cocteau, véritable patchwork de toutes les formes d’expression auxquelles a pu se mesurer celui qui se qualifiait lui-même d’anti-intellectuel type : dessinateur, caricaturiste, auteur dramatique, acteur, costumier, scénariste, romancier, portraitiste, metteur en scène, décorateur, peintre, réalisateur de cinéma (ouf !). Dans un livret éclairant sur les visées de ce projet discographique, Fred Kiriloff, réalisateur sonore attitré de Cocteau met en valeur les multiples aspects de ce frégolisme créateur. Quand à l’éditeur, il postule avec quelque provocation, mais non sans vraisemblance que, né au milieu du vingtième siècle plutôt qu’à la fin du dix neuvième, l’auteur de la Machine Infernale ait pu être, sinon l’inventeur, sans doute le premier et le meilleur auteur multimédia et ce qui, en son temps, a partiellement nui à sa réputation (celle d’un touche à tout), aurait servi, cinquante ans plus tard, sa conception et sa pratique si personnelles de la poésie. Les enregistrements qui nous sont ici présentés nous permettent une traversée de toute les formes de l’œuvre de Cocteau : poème, chanson, radio, cinéma, jusqu’à cette forme spécifique d’expression littéraire que constitue le discours d’entrée à l’Académie Française. Ce voyage, nous l’effectuons en compagnie de musiciens et d’interprètes qui ont servi l’œuvre du poète sous tous ses avatars : Satie, Auric, Poulenc, Marianne Oswald, Suzy Solidor, Edith Piaf, Jean Pierre Aumont, Jean Marais, Jeanne Moreau et Cocteau lui-même, tout heureux, comme dit l’éditeur, de vagabonder dans son propre hypertexte. La qualité de la reproduction sonore, redevable à Lionel Risler, la précision de la documentation et de la datation discographique garantie par Marc Monneraye concourent à la finition de ce document qui a sa place privilégiée en médiathèque, je veux dire aussi bien en bibliothèque qu’en discothèque.
Michel SINEUX – ÉCOUTER VOIR