« Puisant sa source au cœur des musiques traditionnelles des ghettos ashkénazes d’Europe de l’Est, le courant que l’on désigne de nos jours sous le vocable klezmer doit principalement son essor et sa reconnaissance à sa collecte et sa diffusion parmi la diaspora israélite émigrée aux États-Unis. À la suite des décennies de persécutions et de pogroms dont ils furent victimes, nombre de juifs polonais, moldaves, ukrainiens, allemands et roumains, avaient en effet opté, dès la fin du XIXème siècle, pour un aller simple vers le Nouveau-Monde. En dépit d’une relégation parfois proche de celle vécue sur place par les Afro-Américains, ils s’y intégrèrent sans heurts, tout en préservant leur culture et leurs particularismes. Si les tout premiers enregistrement ici proposés (datés de 1909 et 1916) présentent de simples duos piano-cymbalum (instrument à cordes frappées faisant partie de la famille des cithares sur table, que l’on l’appelle aussi parfois le piano tzigane), l’orchestre russe qui figure sur un enregistrement de novembre 1917, tout comme celui d’Abe Schwartz en octobre 1920, ou encore celui de Naftule Brandwein en 1923, s’avèrent déjà plus étoffés. Tandis que ces cylindres et 78 tours circulaient de par l’ensemble des States, il est significatif que leur écrasante majorité fut de fait enregistrée à New-York, alors principal pôle de fixation des primo-arrivants européens. Mêlant en un même creuset des thèmes de tradition yiddish avec des modes et tonalités issus des gammes tsiganes et balkaniques, la plupart des quarante plages ici assemblées constituaient de conviviales musiques à danser. Si la clarinette s’y imposa dès les années 20 en tant qu’instrument lead (pratiqué dès lors par maints virtuoses), le xylophone, de sommaires percussions, ainsi que de modestes sections de cordes et de cuivres y participaient également. Tandis que sous l’égide d’un David Krakauer, les développements récents du courant klezmer témoignent de son rapprochement avec le jazz et le funk, des revivalistes tels qu’Andy Statman, Zev Feldman, Joel Rubin et Joshua Horowitz ont entrepris depuis les années 80 et 90 un conséquent travail de perpétuation de ce patrimoine (cf. le magistral “Bessarabian Symphony” de ces deux derniers). On distinguera au passage la troublante similitude entre le “Koilen” qu’interprétait en 1920 l’accordéoniste Mishka Ziganoff et la mélodie du chant révolutionnaire “Bella Ciao”, que les internationales antifascistes érigèrent par la suite en hymne de lutte. Méticuleusement restaurés et mastérisés (comme de coutume chez cet éditeur), ces enregistrements s’accompagnent d’un édifiant livret signé de l’érudit Bruno Blum. »
Par Patrick DALLONGEVILLE – PARIS MOVE
Par Patrick DALLONGEVILLE – PARIS MOVE