La compagnie cévenole
La biguine martiniquaise revit au pied des Cévennes, grâce à l'Antillais Gérard Tarquin et sa clique métissée qui ont fait d'Anduze un fief des tempos créoles.
La biguine avait disparu sous le rouleau compresseur du zouk électrique. Voici ses danses guillerettes et facétieuses ressuscitées, non à Saint-Pierre, au sud de la montagne Pelée où elle est née, mais à Anduze, dans le Gard, au pied des Cévennes, où vit Gérard Tarquin, clarinettiste martiniquais au teint blême, hanté par ses racines nègres. Au sein du groupe Coeur de Chauffe - qui emprunte son nom au nectar de rhum -, il redonne vie aux alliages de tambours bel-air, de figures de carnaval et de mazurka européenne qui ont fait les beaux jours du Bal nègre de la rue Blomet, à Paris, au début du XXe siècle.
Les amateurs de jazz New Orleans connaissent bien Tarquin, puisqu'il fut un des fondateurs du groupe Les Haricots rouges, dont le swing un brin désuet se taille un joli succès populaire depuis une quarantaine d'années. « Au fond, se défend-il, nous ne devons pas être si ringards que ça : je me souviens par exemple avoir fui un plateau télé pour aller faire le boeuf avec Sun Ra. D'ailleurs, lorsque dans notre dernier album nous avons adapté Angela, de Saïan Supa Crew, tout le monde a pensé que c'étaient les rappeurs qui s'étaient inspirés de nous et non l'inverse. La créolité de La Nouvelle-Orléans, ne l'oublions pas, est cousine des métissages antillais. »
Le goût de Tarquin pour les jam-sessions et son sens de la famille hérité des fêtes martiniquaises de son enfance (dans le 13e arrondissement, à Paris) ont entraîné nombre de musiciens, jeunes ou moins jeunes, dans son sillage. « C'est un gourou », dit Lulu, le batteur des Têtes raides, qui a fait le boeuf avec lui il y a vingt ans, en Seine-et-Marne où tous deux habitaient, puis à Anduze où il est souvent venu le voir avant de décider, il y a trois mois, d'y jeter l'ancre. D'autres potes de l'époque du lycée Rodin à Paris, ou des débuts des Haricots rouges en Seine-et-Marne, ont fait à peu près le même parcours. La plupart d'entre eux se retrouvent dans le groupe Coeur de Chauffe pour sortir la biguine « du folklore distillé dans les musées que sont les maisons de la culture ». « C'est une musique qui parle aux gens et qui les fait bouger », s'emballe Tarquin. « C'est une musique gaie qui donne le goût de vivre », ajoute Joseph Zobel, 90 ans, auteur de La Rue Cases-Nègres, lui même installé à Anduze depuis 1976. Grâce à son fils Roland Zobel dit Zozo, potier et grand amateur de noubas antillaises, nombre de Parisiens, musiciens ou non, se sont pris de passion pour ce verdoyant petit coin du Gard connu pour ses camisards d'autrefois et ses inondations d'aujourd'hui. « Zozo et moi, on s'est trouvés dans la même situation, lui très noir, moi très blanc, aucun de nous deux n'ayant vécu aux Antilles, raconte Tarquin. C'est dans sa superbe maison en surplomb d'Anduze que peu de temps avant sa disparition, à 58 ans - en mars 2004 -, le disque Couleur cachée a été enregistré à haute dose de rhum, boudin, accras et colombo. »
Cette bonne ambiance est palpable tout au long de ce CD aux saveurs rétro, où flotte l'esprit d'Eugène Delouche, illustre clarinettiste martiniquais qui fut le maître de Tarquin. Le piment poétique et gouailleur y est distillé par la chanteuse Maura Michalon, venue du lyrique, qui sait retrouver l'âpreté des biguines du « temps longtemps » (comme on dit en créole), et l'accordéoniste-vocaliste Roland Pierre-Charles, ex-membre de La Perfecta, groupe culte antillais des années 70, qui insuffle à l'ensemble une énergie goguenarde et rageuse aux frontières du rock. Tous les morceaux interprétés sont des grands classiques signés Ernest Léardée, Alexandre Stellio, Léona Gabriel, Al Lirvat, Loulou Boislaville... Sauf Couleur cachée, la chanson-titre écrite par Gérard Tarquin, qui laisse libre cours à son blues de « sang-mêlé » et à son goût du balancement chaloupé : « Biguine Saint-Pierre bien cadencée /Mon Dieu ce que j'en ai rêvé /C'est dans mon sang, c'est dans mon âme /Oui mais je suis né à Paname. »
par Eliane Azoulay - Télérama n° 2916 - 30 novembre 2005, ffff
La biguine martiniquaise revit au pied des Cévennes, grâce à l'Antillais Gérard Tarquin et sa clique métissée qui ont fait d'Anduze un fief des tempos créoles.
La biguine avait disparu sous le rouleau compresseur du zouk électrique. Voici ses danses guillerettes et facétieuses ressuscitées, non à Saint-Pierre, au sud de la montagne Pelée où elle est née, mais à Anduze, dans le Gard, au pied des Cévennes, où vit Gérard Tarquin, clarinettiste martiniquais au teint blême, hanté par ses racines nègres. Au sein du groupe Coeur de Chauffe - qui emprunte son nom au nectar de rhum -, il redonne vie aux alliages de tambours bel-air, de figures de carnaval et de mazurka européenne qui ont fait les beaux jours du Bal nègre de la rue Blomet, à Paris, au début du XXe siècle.
Les amateurs de jazz New Orleans connaissent bien Tarquin, puisqu'il fut un des fondateurs du groupe Les Haricots rouges, dont le swing un brin désuet se taille un joli succès populaire depuis une quarantaine d'années. « Au fond, se défend-il, nous ne devons pas être si ringards que ça : je me souviens par exemple avoir fui un plateau télé pour aller faire le boeuf avec Sun Ra. D'ailleurs, lorsque dans notre dernier album nous avons adapté Angela, de Saïan Supa Crew, tout le monde a pensé que c'étaient les rappeurs qui s'étaient inspirés de nous et non l'inverse. La créolité de La Nouvelle-Orléans, ne l'oublions pas, est cousine des métissages antillais. »
Le goût de Tarquin pour les jam-sessions et son sens de la famille hérité des fêtes martiniquaises de son enfance (dans le 13e arrondissement, à Paris) ont entraîné nombre de musiciens, jeunes ou moins jeunes, dans son sillage. « C'est un gourou », dit Lulu, le batteur des Têtes raides, qui a fait le boeuf avec lui il y a vingt ans, en Seine-et-Marne où tous deux habitaient, puis à Anduze où il est souvent venu le voir avant de décider, il y a trois mois, d'y jeter l'ancre. D'autres potes de l'époque du lycée Rodin à Paris, ou des débuts des Haricots rouges en Seine-et-Marne, ont fait à peu près le même parcours. La plupart d'entre eux se retrouvent dans le groupe Coeur de Chauffe pour sortir la biguine « du folklore distillé dans les musées que sont les maisons de la culture ». « C'est une musique qui parle aux gens et qui les fait bouger », s'emballe Tarquin. « C'est une musique gaie qui donne le goût de vivre », ajoute Joseph Zobel, 90 ans, auteur de La Rue Cases-Nègres, lui même installé à Anduze depuis 1976. Grâce à son fils Roland Zobel dit Zozo, potier et grand amateur de noubas antillaises, nombre de Parisiens, musiciens ou non, se sont pris de passion pour ce verdoyant petit coin du Gard connu pour ses camisards d'autrefois et ses inondations d'aujourd'hui. « Zozo et moi, on s'est trouvés dans la même situation, lui très noir, moi très blanc, aucun de nous deux n'ayant vécu aux Antilles, raconte Tarquin. C'est dans sa superbe maison en surplomb d'Anduze que peu de temps avant sa disparition, à 58 ans - en mars 2004 -, le disque Couleur cachée a été enregistré à haute dose de rhum, boudin, accras et colombo. »
Cette bonne ambiance est palpable tout au long de ce CD aux saveurs rétro, où flotte l'esprit d'Eugène Delouche, illustre clarinettiste martiniquais qui fut le maître de Tarquin. Le piment poétique et gouailleur y est distillé par la chanteuse Maura Michalon, venue du lyrique, qui sait retrouver l'âpreté des biguines du « temps longtemps » (comme on dit en créole), et l'accordéoniste-vocaliste Roland Pierre-Charles, ex-membre de La Perfecta, groupe culte antillais des années 70, qui insuffle à l'ensemble une énergie goguenarde et rageuse aux frontières du rock. Tous les morceaux interprétés sont des grands classiques signés Ernest Léardée, Alexandre Stellio, Léona Gabriel, Al Lirvat, Loulou Boislaville... Sauf Couleur cachée, la chanson-titre écrite par Gérard Tarquin, qui laisse libre cours à son blues de « sang-mêlé » et à son goût du balancement chaloupé : « Biguine Saint-Pierre bien cadencée /Mon Dieu ce que j'en ai rêvé /C'est dans mon sang, c'est dans mon âme /Oui mais je suis né à Paname. »
par Eliane Azoulay - Télérama n° 2916 - 30 novembre 2005, ffff