« Près de trois heures de jazz, de blues, de rock, de country, et même de calypso sur un thème (à ce niveau, ça devient un genre) : la route. Ce sujet de la mythologie américaine, au même titre que le cow-boy aux yeux bleus ou la blonde aux gros seins, que le milliardaire à cigare ou le gratte-ciel, est placé sous le signe de la « Route 66 », qui débute chacun des trois CDs dans une version différente (Nat King Cole, Bobby Troup, Chuck Berry) et qui clôt le dernier (Nelson Riddle). Sur le premier CD, côté jazz, on trouve, outre le « Route 66 » de Nat King Cole, un Chet Baker de choc, « The Route » avec un Art Pepper (as) qui a pris du super, tout comme Richie Kamuca (ts), Pete Jolly (p) ou Leroy Vinegar (b), ainsi qu’un curieux Dizzy Gillespie mettant en boîte, avec Percy Heath (b) et Milt Jackson (vib) le « Swing Low Sweet Chariot » pour en faire un « Swing Low Sweet Cadillac ». Ainsi qu’un Arne Domnérus, avec James Moody, de toute beauté (« Car Rider »). Côté blues, il y a Lightning Hopkins (« Automobile Blues ») ou Howlin’ Wolf (« Driving the Highway ») ou encore Big Walter Horton (“Cadillac Blues”). Puis une quantité de rocks, de chansons country vantant les mérites de la Rocket 69 (Connie Allen) ou 88 (Jackie Brenston et les Delta Cats), la Buick 59 (les Medallions) ou la Cadillac modèle A (Bob Wills et les Texas Boys), et aussi les hot rod races, ces courses de bagnoles modifiées qui deviendront les dragsters. Le CD se termine par le « UAW-CIO », chanson des syndicats de l’automobile, qui se sont battus comme des chiens contre les conditions de travail abominables que dénonçait Charlie Chaplin dans « les Temps Modernes ». Ceux qui le chantent, Pete Seeger, Josh White, Alan Lomax, Sonny Terry, Brownie McGhee, s’appelaient les Union Boys. Le CD n°2 est de la même farine. Jazz, avec Clark Terry et un Johnny Griffin explosif (« Cruisin’ »), avec un big band de choc, celui de Sandy Courage, qui compte trente-quatre musiciens, dont Bud Shank (sax), Pete Candoli (tp), Maynard Ferguson (tp), Frank Rosolino (tb), Herb Geller (cl), Barney Kessel (g), Shelly Manne (dm), (on croit rêver). Ainsi que Mildred Jones avec Fats domino, dans une chanson salace (« Mr Thrill ») qui ne fait aucun doute sur le bien-fondé de la théorie de la bagnole signe de virilité : « Mon chéri a une longue, longue, longue… / Cadillac/ Quand il la met… han / dans mon garage / il conduit doucement / car il ne veut pas décharger ses batteries ». No comment. Du rock n’ roll pur et dur de Gene Vincent dont j’apprends, par parenthèse, qu’il s’appelait de son vrai nom Craddock, ou bien d’Eddie Cochran ou de Chuck Berry. Et puis des hommages à la « Pink Cadillac » ou aux femmes qui ont une Coupé DeVille, comme la célèbre Maybellene. Sans oublier les ennuis de parking ou les accidents. Coté calypso, c’est Al Harris qui nous offre un « Taxi » de 1956. Le dernier CD continue avec des accidents de toutes sortes. Pneu crevé hilarant avec les Del-Vikings ou « Forty Miles of Bad Road » de Duane Eddy (attention, le Al Casey à la basse n’est pas le guitariste Al Casey qui jouait avec Fats Waller). Ou encore le splendide « Du Jazz dans le ravin » qui nous fit découvrir un certain Serge Gainsbourg. Le jazz est représenté par Miles Davis, en quartet avec Barney Wilen, Kenny Clarke et René Urtreger à qui je donnerais plutôt un piano qu’une contrebasse. Ou bien dans « Milestones » avec, excusez du peu, Cannonball Adderley (as), John Coltrane (ts), Red Garland (p), Paul Chambers (b) et Philly Joe Jones (dm). Eddie Cochran, Gene Vincent sont de nouveau présents, ainsi que Bob Dylan (« Highway 51 ») et Ray Charles (« Hit the Road Jack »). Ce triple album est vraiment une somme. Et le livret bilingue français-anglais, d’une finesse rare, n’oublie pas les zones d’ombre de la saga de l’automobile. Le rappel de l’hommage de Hitler, dans Mein Kampf, à Henry Ford pour avoir aidé à la publication d’écrits antisémites de ses amis, de l’importance des investissements Ford ou General Motors dans les moteurs Messerschmitt, ou des investissements dans l’effort de guerre nazi du banquier Prescott Bush, père d’un George Bush, et grand-père d’un George W. Bush, qui fit de même en Irak, ne sont pas superflus, car on a passé l’éponge et les peuples sont trop volontiers amnésiques. »
Par Michel BEDIN – ON MAG
Par Michel BEDIN – ON MAG