Le pôle régional des musiques actuelles, associé à Frémeaux et Associés, un des plus importants labels patrimoine au monde, vient de réparer un sacré oubli en consacrant un CD à deux orchestres en cuivre de la Réunion. « Musiques en cuivre, fanfares de la Réunion » permet de retrouver comme si on y était l’orchestre Toussaint et les Cuivres Harmoniques du Sud, en espérant que ce témoignage permette à une relève de se dessiner.
– Alain Courbis, comment ce projet autour des musiques en cuivre réunionnaises a-t-il vu le jour ?
– Depuis sa création, le pôle régional des musiques actuelles a une mission patrimoine. Dès le départ, nous avions, mon conseil d’administration et moi, défini les musiques en cuivre, qui représentent une tradition musicale en voie de disparition comme une priorité. On a un moment envisagé de travailler avec La Triomphale de l’Ouest, un orchestre encore en activité au Port, et puis finalement, cette idée a été mise en stand-by puisqu’entre-temps, le studio Oasis et l’association Les Chokas ont sorti « Bourbon Cuivre», une très belle anthologie de la musique en cuivre en trois CD. Nous ne voulions pas entrer en concurrence avec ce projet. Plus tard, finalement, Gilbert Pounia nous a parlé de l’orchestre Toussaint et du travail de collectage qu’il avait effectué sur place à Sainte-Rose avec Yann Costa. Il cherchait les moyens de produire un album et on a adhéré au projet, même si on en n’avait pas les moyens.
– On peut justement être surpris de ne pas retrouver cet enregistrement sur Takamba, votre label patrimoine, mais sur Frémeaux et Associés, l’un des plus gros labels patrimoine de la planète...
– Notre budget ne nous permet de sortir qu’un disque par an, alors que nous avons énormément de projets en attente. Nous étions donc embêtés. Mais le hasard a bien fait les choses puisqu’au Midem, j’ai rencontré Patrick Frémeaux. Je lui ai fait écouter la maquette et il nous a proposé de prendre le disque en licence. Il avait des fanfares créoles des Caraïbes, mais rien de l’océan Indien. De plus, il a pu bénéficier du travail mené par Guillaume Samson, un jeune ethnomusicologue réunionnais qui a fait un travail conséquent sur ces musiques et sur l’utilisation des instruments à vent à la Réunion.
– En licence, c’est-à-dire ?
– Ça veut dire que le licencié prend à sa charge tous les frais de fabrication et qu’il reverse aux artistes des royautés au prorata des ventes, charge à nous de lui livrer l’enregistrement terminé, mixé, complet. L’avantage pour nous, c’est que Frémeaux est un label largement reconnu, distribué dans trente-deux pays, qui a une dimension bien plus importante que Takamba.
– Vous le disiez, les musiques en cuivre sont en voie de disparition. Que peut-on espérer d’un tel travail sur la patrimoine ?
– Peut-être un renouveau. Je pense qu’il faut miser sur les jeunes, notamment ceux qui sont au CNR, et puis sur le travail que mène Pierre Macquart autour de l’idée de fanfare sur le Manapany Bay Festival. Des fanfares comme Byen Mayé peuvent aujourd’hui reprendre le flambeau et perpétuer cet esprit de fête. C’est bien. Mais il y a encore un gros travail à faire. Cette tradition n’existe pas qu’à la Réunion. On retrouve des musiques en cuivre à Madagascar, sur la côte est de l’Afrique ou bien à Zanzibar. La recherche est donc loin d’être terminée et des rencontres sont possibles, d’autant qu’on assiste à un renouveau au niveau national, comme on a pu le voir avec Ceux qui marchent debout qui sont venus travailler avec Bastèr à la Réunion.
– Peut-on imaginer l’orchestre Toussaint partir en tournée à l’extérieur ?
– Ça n’a rien d’imaginaire. C’est la réalité. Grâce à la convention culturelle qui a été signée entre la Réunion et la région Aquitaine, l’orchestre Toussaint va partir pendant la deuxième quinzaine de mai. Pour certains musiciens, ce sera un premier voyage en avion. Ils vont participer à trois gros festivals à Montauban, Bayonne et Angoulême. Je sais qu’ils sont ravis. Pour eux, avoir un disque et partir comme ça, c’est l’aboutissement d’années de travail.
– Sur l’album, on retrouve également quatre titres de l’orchestre Henri Mahé, enregistrés en 1977...
– Oui, ce sont quatre bonus tracks. Frémeaux voulait donner à entendre des cuivres d’hier et d’aujourd’hui. Ces quatre titres sont tirés de l’unique vynil jamais consacré à la musique en cuivre.
– Sur quels autres projets patrimoine travaillez-vous actuellement ?
– On va finaliser en mai la sortie de l’album de Charlésia, une des dernières chanteuses de séga chagossien. C’est un séga traditionnel très spécifique qu’elle défend ardemment. A 73 ans, elle fait partie des militants qui revendiquent un retour à leur île natale. On a été sensibilisé à sa musique par Sheenaz Patel, une journaliste mauricienne et le collectage s’est déroulé l’an passé. Charlésia viendra d’ailleurs à la Réunion donner un concert au Kabardock au Port. On est également en train de finaliser la sortie du triple album que nous consacrons à Luc Donat. Il réunira 67 chansons couvrant une trentaine d’années de productions sur sept labels entre Paris, Madagascar et la Réunion.
– Peut-on imaginer d’autres collaborations avec Frémeaux et Associés ?
– Tout à fait. On les tient informés de chacun de nos projets. Je crois qu’il y a chez eux une réelle volonté de développer un catalogue sur le patrimoine de l’océan Indien, notamment sur Maurice et Madagascar. Ça permettra certainement à pas mal de projets, qu’on n’arrive pas à mener à leur terme faute de financements, d’aboutir.
Entretien d'Alain COURBIS avec Vincent PION dans LE QUOTIDIEN DE LA REUNION ET DE L'OCEAN INDIEN
– Alain Courbis, comment ce projet autour des musiques en cuivre réunionnaises a-t-il vu le jour ?
– Depuis sa création, le pôle régional des musiques actuelles a une mission patrimoine. Dès le départ, nous avions, mon conseil d’administration et moi, défini les musiques en cuivre, qui représentent une tradition musicale en voie de disparition comme une priorité. On a un moment envisagé de travailler avec La Triomphale de l’Ouest, un orchestre encore en activité au Port, et puis finalement, cette idée a été mise en stand-by puisqu’entre-temps, le studio Oasis et l’association Les Chokas ont sorti « Bourbon Cuivre», une très belle anthologie de la musique en cuivre en trois CD. Nous ne voulions pas entrer en concurrence avec ce projet. Plus tard, finalement, Gilbert Pounia nous a parlé de l’orchestre Toussaint et du travail de collectage qu’il avait effectué sur place à Sainte-Rose avec Yann Costa. Il cherchait les moyens de produire un album et on a adhéré au projet, même si on en n’avait pas les moyens.
– On peut justement être surpris de ne pas retrouver cet enregistrement sur Takamba, votre label patrimoine, mais sur Frémeaux et Associés, l’un des plus gros labels patrimoine de la planète...
– Notre budget ne nous permet de sortir qu’un disque par an, alors que nous avons énormément de projets en attente. Nous étions donc embêtés. Mais le hasard a bien fait les choses puisqu’au Midem, j’ai rencontré Patrick Frémeaux. Je lui ai fait écouter la maquette et il nous a proposé de prendre le disque en licence. Il avait des fanfares créoles des Caraïbes, mais rien de l’océan Indien. De plus, il a pu bénéficier du travail mené par Guillaume Samson, un jeune ethnomusicologue réunionnais qui a fait un travail conséquent sur ces musiques et sur l’utilisation des instruments à vent à la Réunion.
– En licence, c’est-à-dire ?
– Ça veut dire que le licencié prend à sa charge tous les frais de fabrication et qu’il reverse aux artistes des royautés au prorata des ventes, charge à nous de lui livrer l’enregistrement terminé, mixé, complet. L’avantage pour nous, c’est que Frémeaux est un label largement reconnu, distribué dans trente-deux pays, qui a une dimension bien plus importante que Takamba.
– Vous le disiez, les musiques en cuivre sont en voie de disparition. Que peut-on espérer d’un tel travail sur la patrimoine ?
– Peut-être un renouveau. Je pense qu’il faut miser sur les jeunes, notamment ceux qui sont au CNR, et puis sur le travail que mène Pierre Macquart autour de l’idée de fanfare sur le Manapany Bay Festival. Des fanfares comme Byen Mayé peuvent aujourd’hui reprendre le flambeau et perpétuer cet esprit de fête. C’est bien. Mais il y a encore un gros travail à faire. Cette tradition n’existe pas qu’à la Réunion. On retrouve des musiques en cuivre à Madagascar, sur la côte est de l’Afrique ou bien à Zanzibar. La recherche est donc loin d’être terminée et des rencontres sont possibles, d’autant qu’on assiste à un renouveau au niveau national, comme on a pu le voir avec Ceux qui marchent debout qui sont venus travailler avec Bastèr à la Réunion.
– Peut-on imaginer l’orchestre Toussaint partir en tournée à l’extérieur ?
– Ça n’a rien d’imaginaire. C’est la réalité. Grâce à la convention culturelle qui a été signée entre la Réunion et la région Aquitaine, l’orchestre Toussaint va partir pendant la deuxième quinzaine de mai. Pour certains musiciens, ce sera un premier voyage en avion. Ils vont participer à trois gros festivals à Montauban, Bayonne et Angoulême. Je sais qu’ils sont ravis. Pour eux, avoir un disque et partir comme ça, c’est l’aboutissement d’années de travail.
– Sur l’album, on retrouve également quatre titres de l’orchestre Henri Mahé, enregistrés en 1977...
– Oui, ce sont quatre bonus tracks. Frémeaux voulait donner à entendre des cuivres d’hier et d’aujourd’hui. Ces quatre titres sont tirés de l’unique vynil jamais consacré à la musique en cuivre.
– Sur quels autres projets patrimoine travaillez-vous actuellement ?
– On va finaliser en mai la sortie de l’album de Charlésia, une des dernières chanteuses de séga chagossien. C’est un séga traditionnel très spécifique qu’elle défend ardemment. A 73 ans, elle fait partie des militants qui revendiquent un retour à leur île natale. On a été sensibilisé à sa musique par Sheenaz Patel, une journaliste mauricienne et le collectage s’est déroulé l’an passé. Charlésia viendra d’ailleurs à la Réunion donner un concert au Kabardock au Port. On est également en train de finaliser la sortie du triple album que nous consacrons à Luc Donat. Il réunira 67 chansons couvrant une trentaine d’années de productions sur sept labels entre Paris, Madagascar et la Réunion.
– Peut-on imaginer d’autres collaborations avec Frémeaux et Associés ?
– Tout à fait. On les tient informés de chacun de nos projets. Je crois qu’il y a chez eux une réelle volonté de développer un catalogue sur le patrimoine de l’océan Indien, notamment sur Maurice et Madagascar. Ça permettra certainement à pas mal de projets, qu’on n’arrive pas à mener à leur terme faute de financements, d’aboutir.
Entretien d'Alain COURBIS avec Vincent PION dans LE QUOTIDIEN DE LA REUNION ET DE L'OCEAN INDIEN