« La vie commune entre Ray Charles et les sommets prend son envol en France. Plus précisément en 1961. Après l'illumination du festival de jazz d'Antibes en juillet, puis l'implosion du Palais des Sports en octobre, le Genius prend ses quartiers dans les cœurs. L'histoire d'amour débordera quarante années. Michel Brillié rédige le livret du coffret de trois CD Live in Paris. Le mélomane rapporte l'incrédulité des musiciens de l'orchestre devant la découverte d'un public parisien en délire. Les organisateurs avaient programmé trois concerts (du 20 au 22 octobre). Ils se précipitèrent pour en rajouter deux, devant l'ampleur de la demande. Ces messieurs auraient anticipé sereinement s'ils avaient suivi le journaliste Frank Ténot, qui traversa l'Atlantique l'année précédente pour assister à un concert du Georgien. Révisons Ténot : "Je fus ébloui... Le Genius, entouré d'un petit groupe, balançait comme un fou". Ravissement identique à l'écoute du coffret. Un effort pour se transporter à la place de ceux qui prennent le répertoire en pleine figure, à l'époque, et l'on mesure la secousse.
Dès la première note de I Wonder, la fraîcheur, l'originalité, l'ancrage dans le blues, l'inspiration éclaboussent. Suivent d'ahurissantes versions de Yes Indeed, Hit The Road Jack, What'd I Say, Georgia on my Mind, Hallelujah I Love Her So. On se répète à chaque titre : "Mais c'est pas possible!" Le Titan récidivera à l'Olympia pour quatre soirées en mai 1962. Quelques jours avant le premier concert de 1961, plusieurs dizaines de milliers d'Algériens manifestent à Paris. La police parquera entre 6 et 7000 d'entre eux dans l'enceinte du Palais des Sports. Ray Charles relatera l'épisode tragique dans Brother Ray, son autobiographie (Le Blues dans la Peau - 2005): "Je suis allé à Paris après avoir mis les pieds à Londres et le premier voyage fut étrange. La guerre d'Algérie battait son plein : les bombes explosaient dans toute la ville. Mais les Algériens envoyèrent un mot à mon promoteur disant qu'il n'y aurait aucune explosion sur mon trajet de l'hôtel à la salle de concert ("Dites à Brother Ray de ne pas s'inquiéter"). Et je ne me suis pas tracassé". La série de concerts de 1961 établit la popularité du pianiste (déjà primé par les spécialistes du grand Prix de l'Académie du Disque en 1958). A l'instar de Duke Ellington, Dave Brubeck, ou Louis Armstrong, le grand public adoube le jazzman. Johnny Halliday expose au magazine Cinémonde, qu'il a parcouru 400 kilomètres après l'un de ses spectacles pour le show du 24 octobre 1961. Johnny prendra les devants en 1962. L'idole des jeunes attend à Orly, au bas de l'avion, pour serrer la main de l'icône de la planète. Chapeauté par l'emblématique Norman Granz, Ray sera désormais reconnu comme l'une des grandes voix du siècle. Il se produit à guichets fermés, boulevard des Capucines. Ici, dans un Olympia intime aux soyures rutilantes, parfaitement sonorisé, bien éclairé, le chanteur magnétise littéralement la salle. Communion amplifiée par la présence du chœur des quatre Raelets. Quelques jours après la mort de Ray, en 2004, le légendaire programmateur de l'Olympia Jean-Michel Boris (qui en deviendra Directeur général en 1979), évoquera les premiers concerts du génie en France. Il parle de "révolution". Une révolution pour installer le règne durable d'un Ray? Unique au monde, le Roi Charles, pour sûr... »
Par Bruno PFEIFFER - LIBERATION
Dès la première note de I Wonder, la fraîcheur, l'originalité, l'ancrage dans le blues, l'inspiration éclaboussent. Suivent d'ahurissantes versions de Yes Indeed, Hit The Road Jack, What'd I Say, Georgia on my Mind, Hallelujah I Love Her So. On se répète à chaque titre : "Mais c'est pas possible!" Le Titan récidivera à l'Olympia pour quatre soirées en mai 1962. Quelques jours avant le premier concert de 1961, plusieurs dizaines de milliers d'Algériens manifestent à Paris. La police parquera entre 6 et 7000 d'entre eux dans l'enceinte du Palais des Sports. Ray Charles relatera l'épisode tragique dans Brother Ray, son autobiographie (Le Blues dans la Peau - 2005): "Je suis allé à Paris après avoir mis les pieds à Londres et le premier voyage fut étrange. La guerre d'Algérie battait son plein : les bombes explosaient dans toute la ville. Mais les Algériens envoyèrent un mot à mon promoteur disant qu'il n'y aurait aucune explosion sur mon trajet de l'hôtel à la salle de concert ("Dites à Brother Ray de ne pas s'inquiéter"). Et je ne me suis pas tracassé". La série de concerts de 1961 établit la popularité du pianiste (déjà primé par les spécialistes du grand Prix de l'Académie du Disque en 1958). A l'instar de Duke Ellington, Dave Brubeck, ou Louis Armstrong, le grand public adoube le jazzman. Johnny Halliday expose au magazine Cinémonde, qu'il a parcouru 400 kilomètres après l'un de ses spectacles pour le show du 24 octobre 1961. Johnny prendra les devants en 1962. L'idole des jeunes attend à Orly, au bas de l'avion, pour serrer la main de l'icône de la planète. Chapeauté par l'emblématique Norman Granz, Ray sera désormais reconnu comme l'une des grandes voix du siècle. Il se produit à guichets fermés, boulevard des Capucines. Ici, dans un Olympia intime aux soyures rutilantes, parfaitement sonorisé, bien éclairé, le chanteur magnétise littéralement la salle. Communion amplifiée par la présence du chœur des quatre Raelets. Quelques jours après la mort de Ray, en 2004, le légendaire programmateur de l'Olympia Jean-Michel Boris (qui en deviendra Directeur général en 1979), évoquera les premiers concerts du génie en France. Il parle de "révolution". Une révolution pour installer le règne durable d'un Ray? Unique au monde, le Roi Charles, pour sûr... »
Par Bruno PFEIFFER - LIBERATION