28 heures d’enregistrement et seize CD. Denis Podalydès s’est engouffré dans la nuit de Louis Ferdinand Céline. Une bouteille d’eau plate et des biscuits à portée de main, pour éviter des borborygmes au micro, dit-il, le sociétaire de la Comédie Française a accompagné l’odyssée de Bardamu, cascadant d’une phrase à l’autre. Dans sa cabine minuscule, plus seul qu’un algérien Célinien en route vers l’Afrique, le lecteur a ainsi tout vu du Voyage au bout de la nuit, tout senti, tout articulé : le cri de Bardamu, sans grade dans les tranchées de la Grande Guerre, les harangues bouffies des généraux, les voluptés chuchotées de Molly, l’étoile des pavés New Yorkais, l’espérance à fleur de chair. Une telle traversée exige muscle, détente et concentration. Des qualités d’athlète. Denis Podalydès s’est donc entraîné, relisant dans l’intimité ce roman qui l’a laissé sans voix la première fois, il y a une quinzaine d’années. Il a rêvé son parcours et s’est souvenu de ses prédécesseurs : Michel Simon, révolté bougonnant, attaquant les premières pages du Voyage ; puis Arletty, gouailleuse, empoignant l’épopée de Bardamu ; ou encore George Wilson, stentor du théâtre national populaire des années 1960. Sans oublier Fabrice Luchini qui, de Mort à crédit a Voyage, aime enchanter en public les morceaux de bravoure. « Ce que fait Fabrice Lucchini est prodigieux, mais mon travail est d’une autre nature, explique Denis Podalydès, magnifique cet hiver à la Comédie Française en broyeur de cœurs ordinaire dans Platonov de Tchékov. Il me faut trouver le sens de la vague et nuancer les couleurs vocales pour caractériser les personnages. Ce qui implique de reconnaître la phrase célinienne, comme on repère un parcours : elle est truffée de surprises, si on ne les anticipe pas, la sortie de route est assurée ». Chaque soir, Denis Podalydès a préparé le terrain du lendemain. Pour jouir de ce bonheur : trois à quatre heures de lecture sans pause, les jours de grande forme, état second comparable à celui du nageur qui aligne les longueurs et oublie la fatigue. « Lorsqu’on a trouvé l’endurance, la phrase devient plus claire, dit l’acteur. La beauté de l’exercice, c’est d’épouser la cadence du texte et d’accéder ainsi à une connaissance intime de l’œuvre ». « J’aime les gros morceaux, ceux qui me mobilisent un long moment, avoue encore Denis Podalydès. J’adorerai enregistrer, par exemple, Les Confessions de Rousseau ou La vie, mode d’emploi de Perec ». La lecture, art à part entière donc. « A mes yeux, c’est aussi essentiel que le cinéma et la scène. Lire, c’est délivrer quelque chose de très personnel ; Je suis ce que je lis ».
Alexandre DEMIDOFF - LE BULLETIN CELINIEN
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