La maison Frémeaux & Associés (catalogue gratuit sur demande au 20, rue Robert Giraudineau 94300 Vincennes) continue à consolider les racines patrimoniales de la planète en confiant à Isabelle Leymarie, spécialiste incontestée de ce domaine foisonnant, un panorama sonore cubain qui couvre pratiquement les trois-quarts de notre siècle. Les premiers témoignages enregistrés (1923) concernent des formes déjà très raffinées qui avaient la faveur de lieux publics élégants, reste sous-entendu tout un mode d’émotions et de tâtonnements émouvants, dont nous n’avons presque plus de traces, celui partagé par un prolétariat rural sauvagement exploité. Ces traces sont encore tangibles dans certaines fêtes locales et des défilés de carnaval. Faut-il rappeler que la magie du rythme cubain est l’héritage de l’infâme trafic des esclaves noirs ? Isabelle Leymarie dans son ouvrage « Du Tango au Reggae » (Flammarion, 1996), note : « Très tôt, les noirs brillèrent par leur talent musical et constituèrent la majorité des musiciens de l’île, les colons espagnols étant des soldats et des paysans illettrés…Dans les barracones, cabanes où logeaient les esclaves des plantations et des raffineries de sucre, des rythmes par une multitude d’instruments : tambours, bêches, socs de charrue, caisses, tiroirs, baguettes de bois, cuillères, hochets, racleurs, arcs musicaux, cruches dans lesquelles on soufflait, résonnaient aux oreilles des blancs et s’infiltraient peu à peu dans la musique européenne ». Au gré des conditions locales variées qui vont de l’asservissement pur et simple en campagne à la condition d’hommes libres en ville, des confréries musicales s’organisent et utilisent une infinie variété d’instruments afroïdes et occidentaux. Ces groupes reprennent des mélodies occidentales (canto jondo, contredanse, opéra populaire napolitain entre autres) et les renouvellent de l’intérieur selon une rythmique africaine en constante évolution (changements de mesures, d’accents, de syncopes etc…) au point que des types musicaux se chevauchent et finissent parfois même par se recouvrir. Sont représentés dans cette anthologie chronologique tango congo, clave, bolero, son, son montuno, danzon, guajira, conga, guaracha, mambo, cha-cha-cha, descarga et latin jazz, tous rythmes cubains interprétés par les meilleurs artistes îliens et parfois portoricains. La salsa, considérée comme un avatar new yorkais, n’est pas représentée dans ce choix. Les 75 ans d’évolutions parallèles, politique, sociale, technique, évoquées indirectement par ces deux disques, permettent d’observer que, peu à peu, la beauté sensuelle des voix au premier plan qui narrent des histoires sentimentales laisse place à une impérieuse domination instrumentale, expression de force et de joie. La compilation se termine sur une apothéose de latin jazz qui laisse bouche bée. Cette manière unique d’occuper le temps présent lui donne une intensité totalement jouissive bien connue de tous les amateurs.
Mohamed ALI - LATINA
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