"Trois événements ont, selon lui, caractérisé le XXe siècle. En premier lieu, la déconstruction des valeurs initiée par Nietzsche jusqu'à Heidegger et Derrida. Cette démolition, parfois géniale, des traditions s'est traduite en art et en politique par le phénomène des avantgardes et, sur le plan social, par l'émergence d'un type humain nouveau : le bohème. Rapins, « fumistes », hippies se veulent les ennemis jurés du bourgeois et de ses conventions. Mais, deuxième élément marquant, les bohèmes « n'ont été pour l'essentiel que le bras armé du capitalisme mondialisé, l'instrument de la réalisation parfaite de la société de consommation ».
Luc Ferry montre comment Mai-68, en arasant l'autorité et les tabous, a permis l'émergence de l'individu consommateur, affamé de nouveautés, aussi vite appâté que lassé. Sous les pavés, non pas la plage mais la Bourse, le marché. Il note la connivence entre les grands capitaines d'industrie, comme François Pinault, et l'art contemporain le plus en pointe, les uns et les autres soucieux d'innover dans la bataille de la globalisation. Enfin, troisième trait, l'invention du mariage d'amour qui fait de l'affection le ciment de la cellule conjugale et familiale. Si nul, en Europe du moins, n'est prêt à mourir pour Dieu, la Patrie ou la Révolution, la figure du sacré s'incarne désormais dans l'être aimé. C'est pour protéger ceux que nous chérissons que nous pourrions aller jusqu'au sacrifice suprême.
Pour en arriver là, il a fallu que le salariat se répande dans la société et représente une forme d'émancipation, le moyen d'échapper à la surveillance de la communauté et des familles, en partant travailler dans les villes. Comme Marx l'avait vu, le capitalisme fut en même temps un formidable outil de libération et d'exploitation. Le mariage d'amour a pour corrélat le divorce, porte de sortie indispensable, et la laïcité, la liberté de choix, pour qui n'est plus soumis à la tutelle du prêtre et du clocher.
Saluant au passage la figure de Pic de la Mirandole, expliquant l'histoire d'Ulysse et l'épopée de Gilgamesh, Ferry défend la vision d'une spiritualité laïque. Avec une virtuosité et un talent pédagogique, incontestable, il allie profondeur et clarté, refusant de céder au défaitisme dominant sans se dissimuler l'ampleur des défis qui nous attendent."
par Pascal BRUCKNER - LE NOUVEL OBSERVATEUR
Luc Ferry montre comment Mai-68, en arasant l'autorité et les tabous, a permis l'émergence de l'individu consommateur, affamé de nouveautés, aussi vite appâté que lassé. Sous les pavés, non pas la plage mais la Bourse, le marché. Il note la connivence entre les grands capitaines d'industrie, comme François Pinault, et l'art contemporain le plus en pointe, les uns et les autres soucieux d'innover dans la bataille de la globalisation. Enfin, troisième trait, l'invention du mariage d'amour qui fait de l'affection le ciment de la cellule conjugale et familiale. Si nul, en Europe du moins, n'est prêt à mourir pour Dieu, la Patrie ou la Révolution, la figure du sacré s'incarne désormais dans l'être aimé. C'est pour protéger ceux que nous chérissons que nous pourrions aller jusqu'au sacrifice suprême.
Pour en arriver là, il a fallu que le salariat se répande dans la société et représente une forme d'émancipation, le moyen d'échapper à la surveillance de la communauté et des familles, en partant travailler dans les villes. Comme Marx l'avait vu, le capitalisme fut en même temps un formidable outil de libération et d'exploitation. Le mariage d'amour a pour corrélat le divorce, porte de sortie indispensable, et la laïcité, la liberté de choix, pour qui n'est plus soumis à la tutelle du prêtre et du clocher.
Saluant au passage la figure de Pic de la Mirandole, expliquant l'histoire d'Ulysse et l'épopée de Gilgamesh, Ferry défend la vision d'une spiritualité laïque. Avec une virtuosité et un talent pédagogique, incontestable, il allie profondeur et clarté, refusant de céder au défaitisme dominant sans se dissimuler l'ampleur des défis qui nous attendent."
par Pascal BRUCKNER - LE NOUVEL OBSERVATEUR