Faut-il réhabiliter ce pianiste de la véhémence et de l’urgence positive ? Cette « Quintessence » en est l’évidence. Ecrasé sous l’étiquette funky, classé hâtivement comme petit maître du hard bop churchy, le coriace Horace pâtit longtemps de cette image de « Preacher » bon marché. C’est oublier que Silver le bien nommé est d’abord un artiste vif-argent. Fasciné au départ par le double soleil de Bud Powell et Monk, ce pianiste à foucades et saccades s’émancipe vite et s’affirme tout au long de ce double album comme un jazzman euphorisant, un compositeur troublant au sens dramatique très développé, un musicien précurseur qui est à l’origine d’une évolution qui débouchera bientôt sur les aventures de Herbie Hancock et Wayne Shorter. Sans doublonner avec le double recueil consacré à Art Blakey et les Jazz Messengers dans la même collection, cette anthologie balise presque toute une décennie, de 1952 à 1959. Soit une dizaine d’albums Blue note, de « The Horace Silver Trio » à « Blowin’ The Blues Away », sans oublier sa seule infidélité au label d’Alfred Lion, « Silver Blue » pour Columbia en quintette en 1956. « Silver reste simple, écrit Alain Gerber dans son beau texte introductif, mais il ne simplifie rien. Il décante. » Recherchant dans l’insistante répétition de cours motifs une sorte de transe immédiate, il insuffle une furia allègre à son chant entêtant, vierge de tout cliché. Quand Horace griffe son clavier, il swing avec la précision du métronome. Un swing terrassant auquel les deux mains, le corps et tout le piano sont joyeusement sacrifiés pour féconder dans l’instant le jazz le plus effervescent qu’il soit. Ce florilège presque parfait le prouve à chacune de ses plages avec (sans parler des rythmiques superlatives) la complicité de superbes solistes comme les trompettistes Clifford Brown, Donald Byrd, Art Farmer et Blue Mitchell et les saxophonistes Lou Donaldson, Hank Mobley, Clifford Jordan, et Junioe Cook. Que du bonheur !
Personnels détaillés dans l’excellent livret signé Alain Gerber et Alain Tercinet.
par Pascal Anquetil – Jazzmag-Jazzman