UNE CONVICTION FRANCOPHONE ET DES MESSAGES EN HERITAGE - par Radio France Internationale.
Ce que certains vivaient comme des contradictions, Léopold Sédar Senghor l’envisageait comme une évidence. Promoteur du concept de négritude et défenseur de l’indépendance des Etats africains, celui qui fut le premier président du Sénégal a aussi été l’artisan d’une francophonie qu’il voulait «modèle et moteur» d’une «civilisation de l’universel». Une position qui l’a parfois fait mal comprendre en Afrique dans un contexte marqué par les séquelles du colonialisme. Le président ivoirien Felix Houphouët-Boigny a résumé l’opinion d’un certain nombre d’Africains par ces mots provocateurs : «C’est un Français peint en noir». Senghor était surtout amoureux de la langue française, tout en étant indéfectiblement attaché à ses racines africaines, mais aussi imprégné des enseignements des civilisations classiques. Il était à lui seul un creuset de cultures et d’idées. Un homme vraisemblablement en avance sur son temps, dont Abdou Diouf, actuel secrétaire général de la Francophonie qui fut son collaborateur et son héritier politique, constate que l’on redécouvre la pensée et les messages à la lumière de l’actualité.
« Ma négritude point n’est sommeil de la race mais soleil de l’âme, ma négritude vue et vie, Ma négritude est truelle à la main, est lance au poing ». Léopold Sédar Senghor était d’abord un poète. Il écrivait d’ailleurs chaque jour, même après être « tombé en politique » comme le rappelle Abdou Diouf. Dans son emploi du temps serré de président de la République du Sénégal, Senghor dégageait toujours quelques moments pour taquiner la muse. Agrégé de grammaire française, il marquait aussi les réunions avec ses collaborateurs de son empreinte d’érudit linguistique. A tel point qu’« il y avait parfois le tableau noir en conseil des ministres », raconte Abdou Diouf. Du bon usage de la virgule à l’emploi des majuscules dans les textes administratifs, Léopold Sédar Senghor n’hésitait jamais à donner une petite leçon de grammaire. Pour lui, la maîtrise de la langue était une vertu incontournable.
« La langue essentielle »
S’il a défendu avec autant d’ardeur et de conviction l’idée de la nécessaire réunion des Etats francophones autour de leur langue commune -il préférait d’ailleurs le terme de francité à celui de francophonie-, c’est parce que le français représentait pour lui « la langue essentielle », par rapport au «négro-africain» qu’il qualifiait de « langue existentielle ». Senghor a défini de manière très précise les atouts du français : « sa syntaxe, toute de logique nuancée cependant par des modes comme le conditionnel, mais surtout le subjonctif, sans oublier la concordance des temps, ni l’emploi subtil de la ponctuation, singulièrement de la virgule. Sans compter l’hommage qu’il faut rendre aux vertus des conjonctions relatives et subordonnées ». Une langue « plus riche, plus claire, plus précise » que l’anglais. En d’autres termes LA langue. Sa dévotion au français sera récompensée. D’abord lorsqu’il devient membre de l’Académie française en 1984, puis lorsque son œuvre poétique est mise au programme de l’agrégation en 1987.
Il n’y avait dans l’esprit de Senghor aucune contradiction entre cet amour de la langue française et sa revendication de négritude. Un concept qu’il a élaboré avec ses amis Aimé Césaire (Martiniquais) et Léon Gontran Damas (Guyanais) et qu’il définissait ainsi : « La négritude est un fait, une culture. C’est l’ensemble des valeurs économiques, politiques, intellectuelles, morales, artistiques et sociales des peuples d’Afrique et des minorités noires d’Amérique, d’Asie et d’Océanie ». Ou encore : « La négritude est la simple reconnaissance du fait d’être Noir et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture ».
Le combat de la négritude n’était donc pas, pour Senghor, un combat d’exclusion. Au contraire, il n’a cessé de militer en faveur du métissage des cultures. Quitte à choquer ses frères africains en poussant à l’extrême son raisonnement et en leur conseillant « de s’assimiler pour ne pas être assimilés ». Ce message en faveur de l’échange est peut-être l’un de ceux qui prennent le plus de sens quelques décennies plus tard. Car la « civilisation de l’universel » que souhaitait Senghor n’était en aucun cas celle d’une culture dominatrice mais bien celle du dialogue des cultures. « Si nous ne sommes pas vigilants, nos langues et nos civilisations seront absorbées par une civilisation unique, totalitaire sur le modèle nazi ».
« J’ai l’habitude d’avoir raison 20 ou 30 ans trop tôt »
Visionnaire, certainement. Il en avait d’ailleurs parfois conscience, lui qui a confié - satisfait ou déçu ? - à son dauphin Abdou Diouf : « J’ai l’habitude d’avoir raison 20 ou 30 ans trop tôt ». Sa conception de la laïcité était elle aussi en avance sur son temps, en avance peut-être encore sur notre temps. Elle représente une autre source d’enseignements. Ce Sénégalais catholique pratiquant a, en effet, réussi le pari de diriger un pays à 90% musulman. Une situation difficile à envisager aujourd’hui et qui a pourtant parfaitement fonctionné à l’époque. Le président Senghor a pratiqué la laïcité en toute simplicité, c’est-à-dire qu’il en a fait, explique Abdou Diouf, « une garantie de la liberté religieuse ». Il a réussi à faire admettre que la religion relevait de la sphère privée et qu’aucune activité publique ne devait y être liée. Il était donc interdit, sous sa présidence, de créer un parti sur des bases religieuses, ethniques ou régionales. Il a su convaincre ses compatriotes que « les principes de la laïcité étaient compatibles avec ceux de la spiritualité », explique Jean-Michel Djian, dans l’ouvrage qu’il a consacré à Senghor sous le titre Genèse d’un imaginaire francophone (Gallimard). Et à faire émerger une souveraineté sénégalaise.
A l’heure d’une mondialisation souvent qualifiée d’injuste et ravageuse pour les Etats les plus pauvres, les mises en garde de Senghor sur les méfaits de la « détérioration des termes de l’échange » prennent, eux aussi, des accents d’avertissements. Cent ans après la naissance de Léopold Sédar Senghor, son œuvre et sa pensée représentent donc, de l’avis unanime, un héritage précieux.
Par Valérie GAS (RADIO FRANCE INTERNATIONALE)
© 2006 RFI
Ce que certains vivaient comme des contradictions, Léopold Sédar Senghor l’envisageait comme une évidence. Promoteur du concept de négritude et défenseur de l’indépendance des Etats africains, celui qui fut le premier président du Sénégal a aussi été l’artisan d’une francophonie qu’il voulait «modèle et moteur» d’une «civilisation de l’universel». Une position qui l’a parfois fait mal comprendre en Afrique dans un contexte marqué par les séquelles du colonialisme. Le président ivoirien Felix Houphouët-Boigny a résumé l’opinion d’un certain nombre d’Africains par ces mots provocateurs : «C’est un Français peint en noir». Senghor était surtout amoureux de la langue française, tout en étant indéfectiblement attaché à ses racines africaines, mais aussi imprégné des enseignements des civilisations classiques. Il était à lui seul un creuset de cultures et d’idées. Un homme vraisemblablement en avance sur son temps, dont Abdou Diouf, actuel secrétaire général de la Francophonie qui fut son collaborateur et son héritier politique, constate que l’on redécouvre la pensée et les messages à la lumière de l’actualité.
« Ma négritude point n’est sommeil de la race mais soleil de l’âme, ma négritude vue et vie, Ma négritude est truelle à la main, est lance au poing ». Léopold Sédar Senghor était d’abord un poète. Il écrivait d’ailleurs chaque jour, même après être « tombé en politique » comme le rappelle Abdou Diouf. Dans son emploi du temps serré de président de la République du Sénégal, Senghor dégageait toujours quelques moments pour taquiner la muse. Agrégé de grammaire française, il marquait aussi les réunions avec ses collaborateurs de son empreinte d’érudit linguistique. A tel point qu’« il y avait parfois le tableau noir en conseil des ministres », raconte Abdou Diouf. Du bon usage de la virgule à l’emploi des majuscules dans les textes administratifs, Léopold Sédar Senghor n’hésitait jamais à donner une petite leçon de grammaire. Pour lui, la maîtrise de la langue était une vertu incontournable.
« La langue essentielle »
S’il a défendu avec autant d’ardeur et de conviction l’idée de la nécessaire réunion des Etats francophones autour de leur langue commune -il préférait d’ailleurs le terme de francité à celui de francophonie-, c’est parce que le français représentait pour lui « la langue essentielle », par rapport au «négro-africain» qu’il qualifiait de « langue existentielle ». Senghor a défini de manière très précise les atouts du français : « sa syntaxe, toute de logique nuancée cependant par des modes comme le conditionnel, mais surtout le subjonctif, sans oublier la concordance des temps, ni l’emploi subtil de la ponctuation, singulièrement de la virgule. Sans compter l’hommage qu’il faut rendre aux vertus des conjonctions relatives et subordonnées ». Une langue « plus riche, plus claire, plus précise » que l’anglais. En d’autres termes LA langue. Sa dévotion au français sera récompensée. D’abord lorsqu’il devient membre de l’Académie française en 1984, puis lorsque son œuvre poétique est mise au programme de l’agrégation en 1987.
Il n’y avait dans l’esprit de Senghor aucune contradiction entre cet amour de la langue française et sa revendication de négritude. Un concept qu’il a élaboré avec ses amis Aimé Césaire (Martiniquais) et Léon Gontran Damas (Guyanais) et qu’il définissait ainsi : « La négritude est un fait, une culture. C’est l’ensemble des valeurs économiques, politiques, intellectuelles, morales, artistiques et sociales des peuples d’Afrique et des minorités noires d’Amérique, d’Asie et d’Océanie ». Ou encore : « La négritude est la simple reconnaissance du fait d’être Noir et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture ».
Le combat de la négritude n’était donc pas, pour Senghor, un combat d’exclusion. Au contraire, il n’a cessé de militer en faveur du métissage des cultures. Quitte à choquer ses frères africains en poussant à l’extrême son raisonnement et en leur conseillant « de s’assimiler pour ne pas être assimilés ». Ce message en faveur de l’échange est peut-être l’un de ceux qui prennent le plus de sens quelques décennies plus tard. Car la « civilisation de l’universel » que souhaitait Senghor n’était en aucun cas celle d’une culture dominatrice mais bien celle du dialogue des cultures. « Si nous ne sommes pas vigilants, nos langues et nos civilisations seront absorbées par une civilisation unique, totalitaire sur le modèle nazi ».
« J’ai l’habitude d’avoir raison 20 ou 30 ans trop tôt »
Visionnaire, certainement. Il en avait d’ailleurs parfois conscience, lui qui a confié - satisfait ou déçu ? - à son dauphin Abdou Diouf : « J’ai l’habitude d’avoir raison 20 ou 30 ans trop tôt ». Sa conception de la laïcité était elle aussi en avance sur son temps, en avance peut-être encore sur notre temps. Elle représente une autre source d’enseignements. Ce Sénégalais catholique pratiquant a, en effet, réussi le pari de diriger un pays à 90% musulman. Une situation difficile à envisager aujourd’hui et qui a pourtant parfaitement fonctionné à l’époque. Le président Senghor a pratiqué la laïcité en toute simplicité, c’est-à-dire qu’il en a fait, explique Abdou Diouf, « une garantie de la liberté religieuse ». Il a réussi à faire admettre que la religion relevait de la sphère privée et qu’aucune activité publique ne devait y être liée. Il était donc interdit, sous sa présidence, de créer un parti sur des bases religieuses, ethniques ou régionales. Il a su convaincre ses compatriotes que « les principes de la laïcité étaient compatibles avec ceux de la spiritualité », explique Jean-Michel Djian, dans l’ouvrage qu’il a consacré à Senghor sous le titre Genèse d’un imaginaire francophone (Gallimard). Et à faire émerger une souveraineté sénégalaise.
A l’heure d’une mondialisation souvent qualifiée d’injuste et ravageuse pour les Etats les plus pauvres, les mises en garde de Senghor sur les méfaits de la « détérioration des termes de l’échange » prennent, eux aussi, des accents d’avertissements. Cent ans après la naissance de Léopold Sédar Senghor, son œuvre et sa pensée représentent donc, de l’avis unanime, un héritage précieux.
Par Valérie GAS (RADIO FRANCE INTERNATIONALE)
© 2006 RFI
Voire également :
- RFI (Radio France Internationale)
- OIF (Organisation Internationale de la Francophonie)
- Abdou Diouf (Président de l'OIF)
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- Abdou Diouf (Président de l'OIF)
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