Généreusement incorrigible par La Croix

Pierre Barouh, le passeur de Saravah
« Depuis le milieu des années soixante, Pierre Barouh cultive ses passions et révèle le talent des autres avec son label Saravah. Une obstination qui porte toujours ses fruits.
“Je suis comme cela depuis mon adolescence, ouvert à la reconnaissance du talent des autres. J’ai passé ma vie en studio à provoquer les gens pour qu’ils aillent jusqu’au bout de ce qui peut leur passer par la tête pour aboutir à cet “entre-deux qui boîte avec grâce” dont parlait Cocteau. ” A 69 ans, il est généreusement incorrigible, Pierre Barouh. On vient chez lui pour saluer les presque quarante ans du label discographique indépendant qu’il a créé, Saravah, et il partage très vite ses coups de cœur. Un instant encore et il vous projette un film sur un sculpteur japonais au destin étonnant, découvert par hasard et devenu un ami. C’est ce qu’il appelle joliment l’effet pollen de ces graines que le vent emporte on ne sait où pour féconder d’autres lieux. “Je sais me rendre disponible”, avoue-t-il. Le passéisme n’est pas au programme de Pierre Barouh, voyageur impénitent qui adore vivre en France, le pays qui aime la chanson de Prévert et les rythmes venus d’ailleurs. Grâce à son enthousiasme et son savoir-faire, Pierre Barouh a fait connaître plusieurs générations de chanteurs : de Jacques Higelin première manière à Bïa aujourd’hui, ou Gérard Ansalini, en passant par David Mc Neil et Allain Leprest. “Je suis particulièrement fier d’avoir révélé Jean-Roger Caussimon. Les autres, sans moi, auraient certainement accompli leur parcours. Jean-Roger correspondait à tout ce qui avait nourri mon adolescence.”
Le cinéma lui ouvre les portes de la chanson,
Depuis qu’un soir de retour de la manifestation sportive des Six-jours de Paris, Pierre, le jeune gars de Levallois-Perret, est tombé sous le charme du film de Marcel Carné, Les Visiteurs du soir.
Le fils d’émigrés turcs qui faisaient les marchés s’inscrit alors dans la grande tradition de la chanson française. Il ne sait pas encore que le monde deviendra son horizon et qu’il ouvrira lui-même la porte aux musiques de l’Afrique ou du Brésil, entre autres.
Grand amateur de découvertes géographiques et humaines, Pierre Barouh a pu se consacrer, à partir de 1965, à la carrière des autres. Auteur à succès au début des années 1960, il participe à l’aventure du film de Lelouch Un homme et une femme. “C’est la première fois dans l’histoire du cinéma que la chanson – il y en a cinq – était intégrée à ce point au récit et que ces deux formes se complétaient”. Le film un temps en panne, faute de financements, Pierre Barouh fait le tour de ses amis pour trouver de l’argent. Sans succès et “pour des raisons objectives”, reconnaît Pierre Barouh.
Il fonde alors Saravah avec Francis Lai, en référence à la samba Saravah enregistrée un soir sur un petit magnétophone chez le Brésilien Baden Powel. Le film obtient la palme d’or à Cannes en 1966 et Pierre Barouh peut se consacrer aux autres.
Un théâtre porte son nom en Vendée dans ce bocage qu’il aime tant, où on l’avait caché pendant son enfance pour échapper aux persécutions nazies. Saravah prospère grâce à la notoriété de Barouh au Japon. Rien n’est jamais gagné d’avance pour un producteur qui préfère la singularité au clonage en vigueur dans le monde de la musique.
Trente-sept ans après les débuts de Saravah, le rôle de découvreur est toujours un métier à risques et le scepticisme de rigueur. Pierre Barouh, l’auteur de La Bicyclette chantée par Montand et Des ronds dans l’eau, qui reconnaît de nombreuses complicités dans le milieu des médias, regrette le peu d’audace du service public – radios et télés – pour programmer des chanteurs qui n’entrent pas dans les play-list des multinationales.
“La volupté d’écouter est revenue en France”, apprécie Pierre Barouh, sensible à la bonne nostalgie, celle des “amants de la Saint-Jean, de Mac Orlan, de Brassens, et au travail de l’artisan”. La demande est croissante. Hier, la production était plus difficile. Saravah appliquait une de ses devises : “Il y a des années où l’on a envie de rien faire. ” Promeneur soucieux d’aborder d’autres rives, Pierre Barouh repart demain pour de nouvelles émotions. Comme dans la chanson de Margaret : “Mon Dieu/ramenez-moi dans ma belle enfance.” Les années Saravah (1967-2002) doivent toujours s’écrire avec des points de suspension. » R.M. – La Croix