« En mai 1961, après une tournée triomphale en Europe et au Moyen Orient, Mahalia Jackson est de retour chez elle dans le South Side de Chicago. Elle est éreintée et aspire au repos, mais on lui fait une offre qu’elle ne peut refuser. Irving Townsend, son producteur chez Columbia, lui a concocté des séances d’enregistrements filmés pour la chaîne TEC (Television Enterprise Corporation). Cela doit se passer dans les studios Paramount à Hollywood en Californie en juin et juillet. Fatigue ou pas, elle doit enregistrer 85 chansons de trois à quatre minutes chacune en 15 jours. Et elle relève courageusement le défi. Il en résulte 84 bobines en 16 mm dont tout ou partie a fait surface ces dernières années en vidéo VHS et en DVD, mais toujours en piètre qualité tant visuelle que sonore. Patrick Frémeaux a pu récupérer 82 titres qui ont été remastérisés et seront, avec l’expertise de Jean Buzelin, réédités en qualité sonore excellente, dans une série de quatre volumes, « Mahalia Jackson Sings », dont voici le premier opus avec 21 titres. Nombre d’amateurs et de spécialistes reprochent, à juste titre, à Columbia d’avoir imposé à Mahalia Jackson des orchestres à cordes insipides et des chorales blanches tout à fait nulles dans trop de faces qui ne sont sauvées que par le talent de cette chanteuse hors du commun. Hallelujah ! Rien de tout cela ici. Mahalia Jackson est accompagnée par une équipe réduite et efficace. Sa fidèle et talentueuse pianiste Mildred Falls, son organiste favorite Louise Overall Weaver-Smother, et un fabuleux trio de jazz qui a tout compris de l’esprit du black gospel et apporte un énorme plus dans toutes les faces où il est présent. Kenny Burrell (guitare), Red Mitchell (basse), et Shelly Manne (drums) boostent les titres comme Tell It, Sing It, Shout It, My Lord And I, Didnt’ It Rain, Down By The Riverside, etc. Il faut aussi savoir que les 82 titres ne sont pas présentés dans l’ordre chronologique, ce qui est une excellente idée pour éviter une accumulation de tmorceaux dans le même tempo. Ici, les faces slow et solennelles d’hymnes et negro spirituals alternent agréablement avec du gospel uptempo et torride. On trouve des cantiques et des hymnes en tempo lent et compassés, la plupart écrits par des pasteurs blancs du XIXe et du début du XXe siècles, qui sont sauvés de l’ennui seulement par la beauté des mélodies et surtout par la force de conviction, le charisme, le swing et l’exaltation de la chanteuse qui se donne totalement à son sujet (You’ll Never Walk Alone, Just As I Am, My Faith Looks Up To Thee, My Father Watches Over Me, I Asked The Lord, God Will Take Care Of You…). Mais certains sortent du lot aussi pour leur qualités rythmiques, comme Hallelujah It’s Done, ou pour leur ferveur, comme Someboy Bigger Than You And I ou I Believe. Il y a aussi des negro spirituals conventionnels comme The Lord’s Prayer, un Notre Père en slow mais émouvant et vibrant, ou The Rosary (ce que l’on jouait sur le Titanic !).. Personnellement, ma préférence va à quelques spirituals bien enlevés comme Joshua Fit The Battle Of Jericho et Didn’t It Rain, à Throw Out The Lifeline, un cantique syncopé au marche triomphante, et surtout à de purs chefs-d’œuvre du black gospel comme Lord Don’t Move The Mountain, Tell It, Sing It, Shout It (martelé par Shelly Manne), Come On Children, Let’s Sing et By His Word. Mahalia Jackson est sans conteste la reine du black gospel et cet album en apporte encore une preuve éclatante. On attend avec impatience les trois autres opus de cette série. Une dernière remarque : les notes de pochette de Jean Buzelin sont un modèle du genre. »
Par Robert SACRE – ABS MAGAZINE
Par Robert SACRE – ABS MAGAZINE