« Inaltérable! » par Paris Move

« Comme ses pairs (d’Elvis à Chuck Berry), Jerry Lee LEWIS était (et demeure) un être complexe. Plouc hillbilly admirant à la fois Hank Williams et Amos Milburn, ce garçon incarnait parfaitement la schizophrénie du Sud ségrégationniste. Encore adolescent, il franchissait régulièrement la ligne de démarcation entre quartiers afro-américains et districts prolos blancs pour écouter clandestinement le jump blues et le boogie des juke joints du coin. Il y connut son épiphanie. Déjà grande gueule, arrogant et rebelle, il en tira l’essence de son art, et la confirmation de sa relation à l’autorité. Tour à tour pêcheur invétéré et repenti sincère, Jerry Lee LEWIS s’attacha d’abord à courser, dans la recherche d’un hit fédérateur, un Presley déjà parti de Sun pour RCA (“Don’t Be Cruel”). S’attachant la complicité de Carl Perkins, il débuta chez Sam Phillips en alternant country bon teint (“You Win Again”, “I’m Feeling Sorry”) et saillies négroïdes (“When the Saints”), asseyant ouvertement son fondement entre deux chaises. Il fallut son adaptation du “Whole Lotta Shakin’ Goin On” de Big Maybelle, et celle du “Great Balls Of Fire” d’Otis Blackwell, pour réaliser la synthèse philosophale. Enfin admis sur le grand huit du rock n’ roll circus, il devait s’y briser les ailes dans le même bled qu’Eddie Cochran: la perfide Albion. Rattrapé par un scandale marital (il y voyageait avec sa cousine de treize ans, dont il avait fait sa seconde légitime), le battage médiatique subséquent mit un coup d’arrêt à son ascension. Presley alors déjà châtré par l’armée (et le Colonel Parker), Buddy et Cochran enterrés, Gégène traînant sa patte folle, Little Richard entré en religion, et Chuck interné deux ans durant au pénitencier d’Indiana (pour un prétendu détournement de mineur), l’âge d’or d’un certain rock n’ roll contemplait alors son propre crépuscule. Entretemps, Jerry Lee LEWIS avait gravé 48 titres pour Sun. Les voici, restitués dans leur intégralité par la grâce de Frémeaux & Co, avec la précieuse contribution livresque (28 pages!) d’un Bruno Blum toujours aussi pertinent. Inaltérable! »
Par Patrick DALLONGEVILLE – PARIS MOVE