« C’est le 7e volume de l’Intégrale menée par Frémeaux & Associés de l’œuvre de Louis Armstrong. Avec le vol.6 nous avions laissé Louis Armstrong en Europe en octobre-novembre 1933, notamment avec les indispensables morceaux pour le film Kobbenbavn, Kalundborg og ? (le « I Cover the Watherfrond » !). Vedette internationale, Louis l’est depuis sa première visite à Londres en juillet 1932. Présenté comme « ultramoderne », il était déjà dédicataire d’un livre, Aux Frontières du Jazz du poète Robert Goffin qui d’ailleurs assista à sa prestation de Louis au Palladium : « Jack Johnson, l’ancien champion de boxe des poids lourds, était présent, ainsi que Edgard Sampson, Nat Gonnella et quelques autres qui ne pouvaient en croire leurs yeux. De jeunes trompettistes examinaient l’embouchure de l’instrument de Louis, convaincus que sa puissance n’était explicable que par un procédé technique nouveau connu du musicien américain seul ». Au Palladium, Louis Armstrong jouait une trompette Selmer modèle « Challenges ».
Le présent coffret débute donc par les 6 titres gravés à Paris le 7 novembre 1934 juste avant les deux concerts qu’il a donné à la salle Pleyel les 9 et 10 et qui firent date (il répète sur place le 8) : « L’entrée de Louis sur la scène fut quelque chose d’inoubliable : tandis que retentissait les première mesures de son orchestre, il fit son apparition en courant, comme un bolide, brandissant s trompette, proférant quelques mots couverts par le bruit de la musique. Il s’arrêta en riant vers le milieu de la scène. Il donnait l’impression d’aborder la salle comme on aborde une personne, comme s’il faisait à son hôte les honneurs de sa maison et voulait faire partager le plus vite possible l’extraordinaire courant de vie qui l’animait. Le contact était immédiatement établi, on était irrésistiblement pris par l’incroyable dynamisme qui se dégageait de toute sa personne » Panassié relate que Louis fut victime d’une panne de micro… . Les trompettistes classiques, de jazz et autres genres, les Eugène Foveau, Pierre Vignal, Julien Porret, Arthur Briggs étaient dans la salle ! Louis fut qualifié de « Trumpet King » par Foveau et Vignal, professeurs du Conservatoire de Paris. Porret m’a confié ses réserves sur la façon dont Louis arrachait ses notes aiguës (avec beaucoup de pression de l’embouchure sur ses lèvres). Mais contrairement à ce qu’on pense, Louis ne créait pas d’hostilité des trompettistes classique (sinon pour ses sons dits parasites, growl, gliss, etc., qui ornementent son discours et qui n’appartiennent pas au langage classique de l’époque).
Harry Glantz, le premier trompette de Toscanini était un admirateur de Louis Armstrong. Quant au compositeur André Jolivet semble-t-il présent à ce concert, il fut très impressionné par les aigus « pleins » de Louis Armstrong. La maison Selmer avait pour l’occasion exposé son modèle Louis Armstrong, cet instrument dit équilibré (gravure « Louis Armstrong Special » sur le pavillon). Ces rééditions laissent perplexe. Comment avec des lèvres en si mauvais état peut-on jouer avec un tel panache ? Comment avec un instrument de petite perce et à notre avis à la résistance, peut-on développer une telle largeur de son ? Le trompettiste est éblouissant. On lui reproche chez les critiques et amateurs puristes qui font de l’urticaire dès qu’il s’agit de technique, ces notes aiguës (et non pas suraiguës) comme dans ce « Super Tiger Rag » parisien. On dit qu’on l’oblige à le faire parce que ça plaît au public. Rien n’est moins sûr. Louis Armstrong est un professionnel, un trompettiste qui s’est toujours intéressé aux considérations techniques chez les autres (ce B.A. Rolfe par exemple et son registre suraigu) et pour lui-même (il passe d’un modèle de trompette à un autre, Conn, Martin et maintenant Selmer, de même pour les embouchures). Un univers étranger à l’amateur de jazz rêveur. Louis Armstrong n’est certainement pas fâché que ses exploits fassent l’admiration des autres trompettistes en tous genres, même de ses aînés tels King Oliver et Bunk Johnson qui sont fiers de son contre-fa (1930). Ce n’est pas « gratuit » comme l’imagine le consommateur puriste de jazz, sous l’influence forte dans ce microcosme d’Hugues Panassié (« Il est à craindre cependant que Louis finisse par abîmer sérieusement son style à ce jeu détestable de virtuosité instrumentale », p. 96, Le Jazz Hot, 1934). C’est un besoin de plaire, donc un mobile artistique et expressif. Et puis Louis sait que la trompette dispose d’un registre grave, médium et aigu tout simplement. Ce professionnel s’y donne quoi qu’il en coûte pour la santé. A Paris, Louis Armstrong rencontre le lead trompette Maurice Mouflard dont l’aisance dans le registre aigu l’impressionne. Il passe à la radio avec l’Orchestre de Jazz du Poste parisien selon les souvenirs que me confia le saxo Edmond Conahier. Louis s’est rendu chez Robert à Goffin à Bruxelles : « Il vint passer une soirée chez moi, et avec Chittison au piano, il chanta Ain’t Got Nobody et I Cevered the Waterfront. Je lui jouai des disques qu’il appréciait en battant le rythme».
Louis Armstrong écrit quelques mots d’introduction au premier livre sérieux concernant le « jazz » ( qui « invente » même cette entité) et paru chez Corrêta en 1934, Le jazz Hot d’Hugues Panassié : « As a lover of Hot Music as well as a player, I take great pleasure in introducing a Book on Hot Music which is written by that wonderful little Critic on Hot Music, Mr Hugues Panassié. Inside this book you will find out just what it is all about when it comes to giving you all tje Low Down on the good ol’ good records-its players, who played solos and why. I am quite sure you will enjoy reading this book because Mr Panassié never miss when it comes to judging a hot record or its player. And knows then all. I have been asked hundred of times if I thought Hot Music would die out. I said NO INDEED. I should say : Hot Music shall last for ever. There’ll probably be new names for it, that’s all. There has been several names since I can remember way back to the good ol’days in New Orleans, Louisiana, when Hot Music was called Rag Time music, Jazz Music, Gut Bucket Music, Swing, Music and now Hot Music. So you see instead of dying out, it only gets new names. Folks – take it from me – we could’nt live without a little SWING music now and them, mostly then. No matter how much a person like classical Music, they may like juste as much Hot Music. There’s so many different ways to play Hot Music. I won’t add much. Writing articles – making speeches or anything other than SWINGING the good ol’Trum- pet, I am really loste. Here’s hoping you will enjoy reading Panassié’s book as I did. He will tell you all about it. Here’s SWINGING at you. Yours truly : LOUIS STACHMO ARMSTRONG” (p13). Il est amusant de lire qu’Armstrong n’utilise qu’une fois le mot « Jazz », lui préférant les mots hot et swing. Pour l’heure devant un big band (bon ou médiocre, cela n’importe pas) c’est magistral ! Ses versions de « Swing That Music » galvanisent les autres trompettistes. Il l’enregistre avec les hommes de Luis Russel le 18 mai 1936 (beau travail de Pops Foster, b), puis à nouveau le 7 août 1936 en mieux car l’orchestre de Jimmy Dorsey est bien plus précis. Il le joue en public aussi (nous avons là une version de janvier 1937 pour Norge Radio Programs, CD3).
A titre personnel, nous sommes fascinés par ces valeurs longues au dessus d’un orchestre surexcité, ces glissandos et notes aiguës répétées qui redonnent à l’instrument une place royale. Nous ne sommes pas seuls, car si des puristes faisaient la moue, les Jonah Jones ou autres Bobby Hackett furent fascinés par cette trompette hors norme qui en pleine Swing Era maintient sa suprématie. Louis lui-même en est suffisamment fier pour utiliser ce titre, Swing That Music, pour sa première autobiographie. Le trompettiste fait bien sûr trop oublier le chanteur, pas moins influent. La séance parisienne de 1934 donne une version chantée de « On the Sunny Side of the Stree »qui fait date ! Cette façon de phraser les chansons est un modèle pour tous. Il en va de même ensuite, notamment dans « You Are My Lucky Star » d’octobre 1935 (notons au passage l’excellent solo de Charlie Holmes, as). Tous les morceaux gravés avec son orchestre (Luis Russell) en avril et mai 1936 conservent un charme irrésistible. Déjà Louis a diversifié et veut toucher tout le monde : « La Cucaracha » (1935) fait de lui un précurseur des trompettistes de musique typique. Les ingrédients « hot » du jeu de Louis (gliss, shake, growl) seront adaptés au style cubain de trompette par Felix Chappottin qui à cette époque joue pour le Septeto Bolero de Jesus Gutierrez(1935-39). Par contre le « When Ruben Swing the Cuban » (1936) n’a pas grand-chose à voir avec Cuba, mais on en parle, ça fascine.
Le CD1 nous offre le Weaf Program du 5 octobre 1935 où Louis Armstrong est accompagne par l’Orchestre de Victor Young. Sa popularité s’entend, et le chanteur vedette reprend « Synny Side of the Street » tel qu’il le mit au point, chant et trompette, pour le disque à une fausse note près dans la coda (les aléas du direct). Dans « Ain’t Misbehavin’ » de cette émission, on entend l’ambiance survoltée qu’il impose à la trompette. Le rôle de l’improvisation est mince. Louis Armstrong donne du bien rodé pour son public, c’est du professionnalisme. Il y a parfois plusieurs prises dans les séances Decca et l’on y constate la progression des idées. Le 21 novembre 1935, il enregistre trois pistes de « Old Man Moses » (où l’on entend la qualité de comédien de Louis Armstrong). Pour la seconde prise, meilleure, il ajoute une introduction de trompette d’une belle puissance. Belle endurance de Louis Armstrong qui pour les trois prises de « Solitude » du 19 décembre 1935 s’applique à donner la même coda de trompette en montée dans l’aigu. Malgré l’état de ses lèvres. Le résultat musical sur cette œuvre de Duke Ellington est remarquable. Mais Louis Armstrong transforme n’importe qu’elle chanson en chef-d’œuvre (« Falling in Love With You », « Red Sails in the Sunset », « Thanks a Million », etc.). S’il s’intéresse aux chansons populaire, il ne renie pas son passé comme le prouve “Dippermouth Blue” avec Jimmy Dorsey (1936). Il n’y a pas de déchet avec Louis Armstrong. Cette réédition correspond aussi après l’épisode Canetti amplement relaté dans le livret à a la prise en main de la carrière de Louis Armstrong par Joe Glaser. Une bonne raison pour Louis Armstrong d’être plus serein. C’est l’époque où après un statut de vedette internationale, il amplifie son rôle au cinéma (« Penbies From Heaven », 1936, CD2) et d’artiste pour tous. Nous avons là, une émission avec Bing Crosvy (1936 : le chanteur Armstrong donne une leçon de phrasé à Frances Langford dans « Pennies From Heaven ») et les séances avec les Polynesians (ces deux titres, dont « On a Cocoanut Island » resteront au répertoire des vétérans de la Nouvelle-Orl&ecute;ans qui joue une « music for all occasions »), Andy Iona and his Islander, et, très réussie, avec les Mills Brothers (« Carry Me Back to Old Virginia », « Darling Nellie Gray » - 2 prises, on entend nettement que Kid Howard a piqué le phrasé de Louis dans ce morceau).
L’art de Louis est positif. Cet art est de transformer une mélodie même quelconque en quelque chose de réjouissant ou de d’imposant. Bien des compositeurs lui doivent un succès qu’ils ne méritent pas. Louis, chanteur et trompettiste, fera école et d’autres auront cette clé qui rend magique n’importe quel « saucisson ». Si la définition du jazz est Louis Armstrong, alors ces enregistrements sont du jazz. Mais, et ce n’est pas incompatible, c’est aussi du show business, Louis Armstrong s’inscrit dans la volonté de plaire à tous et dans la variété. C’est aussi le papa des trompettistes de variétés. En 1935, Aimé Barelli fait ses débuts professionnels à Nice avec Nichols & his Boy et il est dès lors un disciple de Louis Armstrong. Il en gardera toujours la trace dans la moindre note émise dans n’importe quel contexte. Le CD3 se termine par deux radiodiffusions de la NBC (bons solos d’Albert Nicholas, cl,J.C. Higginbotham, tb, dans « Tiger Rag »… pour ne rien dire de Louis dans son solo habituel et bien rodé qui déclenche la surexcitation générale…, un comme celui-là, il ne peut pas y en avoir plus d’un par siècle). Vedette du disque, de la radio, du cinéma, avec déjà un livre à son actifs (soigneusement réécrit), rien ne peut arrêter la progression du trompettiste et chanteur Louis Armstrong vers le sommet de l’art musical américain au XXe Siècle. »
Par Michel Laplace — JAZZ HOT