« L’auditeur se sent en terrain familier » par Jazz Hot

Bien qu’elle nous présente-là son premier disque en leader, Laïka Fatien est loin d’être une novice des studios et du jazz. Sept ans de classes chez Maître Bolling et diverses expériences scéniques, dont la comédie musicale dans une mise en scène de Jérôme Savary dirigé par ce même Bolling (« A Drum Is a Woman »), ont permis à la chanteuse de trouver sa voie sans s’égarer dans une recherche d’originalité à tous crins. Laïka cite parmi ses références Dianne Reeves et cela s’entend. On retrouve clairement une parenté avec la diva de Detroit : une voix chaude qui instaure une troublante intimité, particulièrement dans sa façon de susurrer les ballades, même si tessiture et puissance s’éloignent du modèle. Car Laïka a de belles cartes dans son jeu et s’exprime avec une sincérité touchante. Elle maîtrise le langage du swing avec parfois quelques accents funky (« Just Say Goodbye ») très accrocheurs. Ce « Look at Me Now ! » relève d’un travail respectueux de la réalité culturelle du jazz accompagné d’une volonté de se singulariser, notamment par une intéressante tentative de renouvellement des standards. Ayant apposé des paroles sur des compositions de Joe Henderson (« Shallows », « Silver Town »), Nicholas Payton (« Zigaboogaloo ») et Wayne Shorter (« This Is for Albert Ayler ») ou reprenant des titres d’Abbey Lincoln (« Throw It Away », « Bird Alone »), Laïka dépeint un univers homogène et cohérent où l’auditeur se sent en terrain familier. Au fil des plages, on peut se trouver parfois quelque peu engoncé dans ce cocon ouaté et ce n’est pas l’adaptation jazzy du tube beatlesien « Eleonor Rigby » qui va décoiffer le maniaque du swing. Mais sans doute est-ce une volonté esthétique étayée par un accompagnement discret, une rythmique légère – Pierre de Bethmann finit par moments par disparaître, et David El Malek est aussi en retrait. Au demeurant, c’est un choix esthétique pour un disque agréable, avec des petits plaisirs originaux comme ces quelques mesures a cappella qui marquent le début d’« Inchworm », qui touchent au cœur comme la flèche de Cupidon.
Par Jérôme PARTAGE – JAZZ HOT