« Transhumain, posthumain… La science fait espérer un dépassement de notre condition, ayant pour effet de rendre incertaines les barrières qui séparent l’homme de l’animal, de la machine de Dieu même ! Jusqu’à y perdre notre inhumanité ?
Qu’est-ce que l’homme ? C’est la grande question de la philosophie ; et elle ne cesse d’être creusée, renouvelée, modifiée par les débats contemporains. Les progrès foudroyants de la génétique, de la neurobiologie, de l’intelligence artificielle, de la robotique, mais aussi ceux de l’observation des comportements animaux, l’espoir (ou le cauchemar) d’un trans- ou d’un posthumain, qui ne connaîtrait ni la maladie, ni la vieillesse, ni la mort : tout cela rend flottantes et incertaines les frontières pourtant réputées infranchissables entre, d’une part, l’homme et, d’autre part, l’animal, le vivant, les choses, les machines, les ordinateurs, l’Univers... jusqu’à Dieu même ! Comment s’y retrouver ? En fait, les formes des grandes réponses ne sont pas en nombre infini ; et les découvertes récentes viennent davantage se nicher dans des options possibles que bouleverser la donne.
Pour les modernes, elles se résument au fond à trois options principales : la nature, la culture, la liberté. En effet, on peut d’abord considérer que le propre de l’homme se niche dans sa nature, c’est-à-dire dans sa configuration biologique ou psychique. Ce serait là, dans les mystères de son fonctionnement, qu’il faudrait guetter la spécificité humaine. Mais on peut aussi penser que celle-ci réside d’abord et avant tout dans les expressions toujours singulières de sa culture : langues, mœurs, art, symboles, littérature, techniques, histoire… Tel serait le propre de l’homme, à distance de sa nature ! On peut enfin envisager que l’homme se définit d’abord et avant tout par sa liberté, c’est-à-dire sa capacité d’être, comme dirait Sartre, une existence qui précède son essence, ou, dit autrement, dans sa faculté de s’arracher à ses déterminismes aussi bien naturels que culturels.
De ces trois définitions aucune n’est vraiment incontestable. La première, parce que, rabattant l’homme sur l’animal, elle ne permet plus de penser de différence, autre que de degré avec ce dernier. La deuxième pose problème car elle risque de faire disparaître l’unité de l’humanité dans la diversité des formes culturelles. La troisième, enfin, est incertaine, puisque, en définissant l’homme comme l’être qui n’est pas ce qu’il est, elle risque fort de n’aboutir qu’à un néant. Faudrait-il donc renoncer ? Peut-être pas, dans la mesure où il existe au moins deux éléments de réponse qui, sans trancher le débat, peuvent à tout le moins faire consensus.
Le premier est que l’homme est le seul être connu qui se pose la question de sa définition sans pouvoir jamais y répondre. On pourrait ainsi le définir comme l’être qui réfléchit sur sa nature, sur ses cultures et sur sa liberté. Alors que, pour autant qu’on le sache, ni l’huître, ni l’ordinateur, ni le robot, ni même le grand singe n’y parviennent tout à fait. Quant à Dieu – qui a toutes les réponses – pourquoi en aurait-il besoin ?
Le second élément est moins brillant : c’est la méchanceté. L’homme a en effet cette vertu étrange d’être vicieux ; il possède cette aptitude non seulement à faire le mal mais à le prendre pour projet ; il détient ce don, que les bêtes n’ont pas, d’être bestial et cruel. L’homme serait-il donc le seul être capable d’être inhumain ?
La philosophie, comme art de se poser des questions insolubles, et l’inhumanité, comme don de faire le mal : tels seraient les deux critères possibles de l’humanité de l’homme. Alors, choisis ton camps, camarade !
A écouter : André Comte-Sponville et Michel Terestchenko, Le Mal. Le méchant, le salaud, le pervers, le médiocre. »
Par Pierre-Henri TAVOILLOT – PHILOSOPHIE MAGAZINE
Qu’est-ce que l’homme ? C’est la grande question de la philosophie ; et elle ne cesse d’être creusée, renouvelée, modifiée par les débats contemporains. Les progrès foudroyants de la génétique, de la neurobiologie, de l’intelligence artificielle, de la robotique, mais aussi ceux de l’observation des comportements animaux, l’espoir (ou le cauchemar) d’un trans- ou d’un posthumain, qui ne connaîtrait ni la maladie, ni la vieillesse, ni la mort : tout cela rend flottantes et incertaines les frontières pourtant réputées infranchissables entre, d’une part, l’homme et, d’autre part, l’animal, le vivant, les choses, les machines, les ordinateurs, l’Univers... jusqu’à Dieu même ! Comment s’y retrouver ? En fait, les formes des grandes réponses ne sont pas en nombre infini ; et les découvertes récentes viennent davantage se nicher dans des options possibles que bouleverser la donne.
Pour les modernes, elles se résument au fond à trois options principales : la nature, la culture, la liberté. En effet, on peut d’abord considérer que le propre de l’homme se niche dans sa nature, c’est-à-dire dans sa configuration biologique ou psychique. Ce serait là, dans les mystères de son fonctionnement, qu’il faudrait guetter la spécificité humaine. Mais on peut aussi penser que celle-ci réside d’abord et avant tout dans les expressions toujours singulières de sa culture : langues, mœurs, art, symboles, littérature, techniques, histoire… Tel serait le propre de l’homme, à distance de sa nature ! On peut enfin envisager que l’homme se définit d’abord et avant tout par sa liberté, c’est-à-dire sa capacité d’être, comme dirait Sartre, une existence qui précède son essence, ou, dit autrement, dans sa faculté de s’arracher à ses déterminismes aussi bien naturels que culturels.
De ces trois définitions aucune n’est vraiment incontestable. La première, parce que, rabattant l’homme sur l’animal, elle ne permet plus de penser de différence, autre que de degré avec ce dernier. La deuxième pose problème car elle risque de faire disparaître l’unité de l’humanité dans la diversité des formes culturelles. La troisième, enfin, est incertaine, puisque, en définissant l’homme comme l’être qui n’est pas ce qu’il est, elle risque fort de n’aboutir qu’à un néant. Faudrait-il donc renoncer ? Peut-être pas, dans la mesure où il existe au moins deux éléments de réponse qui, sans trancher le débat, peuvent à tout le moins faire consensus.
Le premier est que l’homme est le seul être connu qui se pose la question de sa définition sans pouvoir jamais y répondre. On pourrait ainsi le définir comme l’être qui réfléchit sur sa nature, sur ses cultures et sur sa liberté. Alors que, pour autant qu’on le sache, ni l’huître, ni l’ordinateur, ni le robot, ni même le grand singe n’y parviennent tout à fait. Quant à Dieu – qui a toutes les réponses – pourquoi en aurait-il besoin ?
Le second élément est moins brillant : c’est la méchanceté. L’homme a en effet cette vertu étrange d’être vicieux ; il possède cette aptitude non seulement à faire le mal mais à le prendre pour projet ; il détient ce don, que les bêtes n’ont pas, d’être bestial et cruel. L’homme serait-il donc le seul être capable d’être inhumain ?
La philosophie, comme art de se poser des questions insolubles, et l’inhumanité, comme don de faire le mal : tels seraient les deux critères possibles de l’humanité de l’homme. Alors, choisis ton camps, camarade !
A écouter : André Comte-Sponville et Michel Terestchenko, Le Mal. Le méchant, le salaud, le pervers, le médiocre. »
Par Pierre-Henri TAVOILLOT – PHILOSOPHIE MAGAZINE