« Pour goûter l'Irlande imaginaire et le ton singulier de L'Opéra d'Aran, unique ouvrage lyrique de Gilbert Bécaud qui y mit un métier sûr et une inspiration certaine, il faut l'abstraire de son époque. Monté en grande pompe au Théâtre des Champs-Elysées le 25 octobre 1962, avec une distribution de premier rang assemblée autour de la Maureen de Rosanna Carteri et dans la régie luxueuse de Margarita Wallman, enregistré en studio par EMI sous la baguette de Georges Prêtre, l'ouvrage divisa la critique - les conservateurs applaudissant derrière Clarendon, les modernistes se rangeant au côté de Claude Samuel qui dégaina un peu vite en raillant une partition certes incongrue l'année où Pierre Boulez achève Pli selon pli. Finalement, ce seront les Américains qui auront le nez creux, débusquant derrière ses apparats de grand opéra vériste ce qu'est réellement L'Opéra d'Aran : un musical flamboyant. Paradoxe : si l'orchestre de Bécaud est renversant de caractérisation et de patte - le jeune homme de trente cinq ans eut une solide formation classique -, c'est bien le livret, auquel collaborèrent Pierre Delanoë, Louis Amade et Jacques Emmanuel, qui peine à se plier dans la musique et pose aux chanteurs des problèmes de rythme. Mais enfin, que L'Opéra d'Aran ait sombré totalement après sa création, victime d'un procès en mépris vis-à-vis de son auteur, et ne soit pas reparu alors que les comédies de Michel Legrand reviennent à l'affiche, est une injustice que la résurrection de l'enregistrement rend plus criante encore. Et les aficionados de Rosanna Carteri seront heureux de la retrouver, même dans un rôle qui lui fut si épisodique. »
Par Jean-Charles Hoffelé – L’AVANT SCENE OPERA