« La fée et les faits » par Les Inrockuptibles

Le samedi 25 novembre 1921 ; jour de la première émission de radiodiffusion en France depuis les salons de l’hôtel Lutétia, un homme à la voix tremblotante et solennelle  prenait la parole pour déclarer : « Messieurs, la fée électricité est une personne éthérée. » Soixante-dix-huit ans plus tard, installée dans une grande maison ronde des bords de Seine, la fée électricité se montre boudeuse. Silence radio. Quand la maison ronde la boucle, les auditeurs des radio de Radio France s’acharnent comme des drogués en manque sur leur tuners intraitables : où sont ces voix amies qui nous accompagnaient du réveil au coucher (voire plus si insomnies), comment peut-on prendre sa douche  du matin avec un robinet à musique, pourquoi vous ne dites rien ? En guise de cure de sevrage temporaire, on préconisera l’écoute régulière de l’Anthologie du XXe siècle par la radio, coffret six CD élaboré par l’excellent éditeur discographique Frémeaux et Associés en collaboration avec l’INA et Radio France elle-même. Chinés dans les archives de l’INA, 92 documents sonores évoquent des moments-clés de l’actualité du XXe siècle. Révisons nos classiques : le Front populaire, l’Appel du 18 juin, le premier festival de Cannes, l’abolition de la peine de mort, l’élection de Jacques Chirac qui voulait être « le  Président de tous les Français » mais surtout pas des sans-papiers, comme le montre la séquence suivante consacré à l’évacuation de l’église Saint Bernard… L’anthologie est comme un programme radio qui aurait pris du recul sur la vitesse du son et la volatilité de la parole. Sur cette radio transistorique, on n’entend pas de réclames et très peu de musique : juste quelques Marseillaise, les Compagnons de la chanson avant leur départ pour une tournée américaine avec Edith Piaf en janvier 47, le quasi toast de De Gaulle qui scande et assène ses discours à la massue (mon général). A la longue (et un siècle, c’est long) de ces moments de « presse parlée » s’imposent des phonèmes, des voix, des accents : tout ce qui manque au journalisme écrit. C’est un peu Radio Nostalgie, un peu (histoire de) France Info : de quoi raviver une mémoire d’auditeur, qu’il soit âgé de 15 ou 120 ans. C’est aussi une histoire (à trous : on n’y entend malheureusement pas les radios libres) de la radio, de la pratique et  de la langue journalistiques. Et là, on rigole bien. Les interviewés, qui ne connaissaient pas encore les conseillers en communication, commencent invariablement par répondre «Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?» aux questions de pionniers de l’interview audio qui ne trouveraient même pas une place de stagiaire dans les radios d’aujourd’hui. C’est une radio d’avant le professionnalisme rectificateur, involontairement comique («Beaucoup d’encre et de salive on coulé», dans la bouche d’un commentateur, charmant), qui laisse s’épanouir l’émotion, la futilité, la finesse et la grâce. Ainsi, en 1944, une Misstinguett faussement interloquée donnait une merveilleuse leçon à un journaliste qui lui posait une question cruciale, «Miss, que pensez-vous du baise-main ?» : «Il y à plusieurs façons de baiser la main. On peut embrasser le bout des doigts, le creux de la main, un seul doigt – ça fait léger et mondain -, la paume de la main, en essayant de la croquer, le dessus de la main en essayant de monter jusqu’ au coude. C’est un peu osé, mais permis (…) il y a le gloutonneux, la pincette, la bise ; le plongé, le fébrifuge, l’antidérapant, et le bise-main à tous les étages.
Stéphane DESCHAMPS-LES INROCKUPTIBLES