« On a l’âge que les autres vous donnent », murmurait Mireille dans une de ses toutes dernières chansons, créée sur scène en 1995. Mireille aura toujours pour nous l’âge juvénile de sa voix pointue, de son sourire espiègle, de son regard malicieux. L’âge printanier des quelques six cents chansons où elle a mêlé, à la fantaisie des mots de Jean Nohain, les harmonies fruitées de ses compositions. Ces deux-là avaient le don de distiller des couplets champagne, des refrains dansants. Et de glisser, parfois au revers de ses pétillements de rire, de ces frémissements de joie, un rien, une langueur pensive, une mélancolie effleurée, la note verte du poison dans la soie claire des chansons. Alchimie d’enchanteurs… La fée Mireille elle-même est née, le 30 septembre 1906, d’une aimable alchimie familiale : « … un grand-père russe, une grand-mère bohémienne, une mère anglaise et un père d’origine polonaise ! » Sans compter l’oncle Charlie, Charlie King, l’inventeur des claquettes. Entre les solos sonores de ce dernier et les « parties de rire » organisées par la maman à l’heure du thé, l’enfance est enjouée. Cours de piano, de diction et d’acrobatie : la formation est éclectique. « La musique sous les doigts, les pieds sur les planches » : les trop petites mains empêcheront la demoiselle de devenir concertiste, mais elles voltigeront toujours sur le clavier avec des grâces de campanule. Et l’enfant qui s’était essayée au cinématographe, à Londres, en étudiant le rôle de Lady Macbeth, retrouve Shakespeare avec celui de Puck, le lutin du Songe d’une nuit d’été, à l’Odéon. Firmin Gémier, qui dirige le théâtre, donne à Mireille Hartuch son nom de scène, pour toujours. Dans les coulisses de l’Odéon, le décorateur Claude Dauphin présente à la jeune comédienne et musicienne son frère Jean Nohain. Premier ouvrage à quatre mains, l’opérette Fouchtra. Trois ans plus tard, en 1931, le duo Pills et Tabet déniche chez l’éditeur Raoul Breton la partition oubliée, y choisit un petit air musard : Couchés dans le foin… Le succès est tel que Mireille, qui joue alors une comédie musicale de Noel Coward sur Broadway et compose pour Hollywood des musiques de films, rentre à Paris goûter les plaisirs de la gloire. Au fil des concerts entendus aux Etats-Unis, des échanges avec Gershwin, Berlin ou Cole Porter, elle s’est passionné pour le jazz. Celui-ci résonnait déjà en France depuis la fin de la première guerre, il va, grâce à elle, entrer en fanfare dans la chanson populaire. Après, ou avec elle, Jean Sablon, Charles Trenet, Paul Misraki vont, eux aussi swinguer… Nouvelles opérettes et nouveaux succès avec Jean Nohain, chansons pour Jean Sablon, pour Maurice Chevalier, pour elle-même, qu’elle interprète à l’ABC devant un piano blanc et un public béat… Mireille la souris sourit et mène mille vies. Celle-ci sur scène, celle-là en studio ; une autre au micro de son émission de radio, les amis de Mireille, où elle reçoit Paul Valéry ou Marie Laurencin ; une autre encore, amoureuse, radieuse, aux côtés du philosophe Emmanuel Berl, son Théodore, son Voltaire. Avec lui, elle rencontre Guitry, Cocteau, Camus, se lie d’amitié avec Colette, Elsa Triolet, Clara Malraux. Avec lui, sous l’occupation, elle se cache en Corrèze, cache Malraux, sauve un maquis d’une attaque nazie. Mireille-courage… Après-guerre, il y a le bonheur retrouvé. Le succès renoué. Le Petit Conservatoire, fondé en 1955, sur une idée de Sacha Guitry, et où passeront Françoise Hardy, Colette Magny, Michel Berger, Alain Souchon… Emmanuel Berl disparaît en 1976. Dans son jardin de l’Oise, Mireille a longtemps continué de semer delphiniums et petits pois, d’élever des moutons, d’écrire des chansons. Elle attendait son carrosse, qui est venu l’enlever un matin de décembre. On l’imagine, fredonnant, entre Théodore et Jaboune, sur un petit chemin dansant. Anne-Marie PAQUOTTE - TELERAMA
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