Depuis de début des années 1970, le contrebassiste Didier Levallet a multiplié les expériences au fil desquelles il a inventé et affiné une écriture originale, indissociable de la pratique de l’improvisation libre. Puis, en 2001, il accepte la direction de la scène nationale de Montbéliard, l’Allan. « Pour moi, confie-t-il, c’était ouvrir le capot et regarder un peu le moteur : apprendre, moi, musicien, de l’expérience des gens de théâtre, de danse, de cirque, comprendre comment ils « habitent » un lieu, mais aussi faire travailler des musiciens avec un outil dont ils n’ont pas l’habitude. J’en tire la conclusion que le postulat de Malraux – on met les gens en face de l’œuvre d’art et l’éblouissement se produit – ne marche pas à tous les coups. Ce n’est pas tellement une question d’argent : l’accompagnement politique est insuffisant pour qu’un dynamisme sociétal s’exprime là-dessus. »
En dépit des charges qu’entraîne la direction d’un tel établissement, Didier Levallet ne cesse de faire de la musique, il compose et surtout pratique l’improvisation libre avec de vieux complices. Pour le festival de Nevers, il réunit en 2004 un groupe dans lequel figurent la jeune trompettiste Airelle Besson, qui l’impressionne par son aisance et la grâce de son jeu, et le batteur François Laizeau, précis, musical, doté d’un très beau son. Lorsque Didier Levallet quitte Montbéliard en 2011, il sait que c’est autour de ces deux musiciens qu’il va organiser son nouvel ensemble. Il décide d’y ajouter la flûtiste Sylvaine Hélary, artiste aux curiosités insatiables, et retrouve la saxophoniste baryton Céline Bonacina, jazzwomen à la formation classique. La réunion de ces trois souffleuses tient avant tout à leur personnalité musicale. « J’ai choisi des personnes plus que des instruments. Le fait que ce soit des femmes est accidentel. Ce sont trois individualités différentes, mais on ne peut nier qu’elles introduisent une sensibilité féminine - chacune la sienne – dans leur musique. Il se trouve que cela constitue un orchestre inhabituel avec trois femmes au premier plan. Cela correspond à l’avènement d’une génération de musiciennes très talentueuses, mais il n’est pas question d’en faire un fonds de commerce. » Ce choix humain et musical présentait un défi : faire chanter ensemble des instruments qui ne sont pas ordinairement associés. Les qualités instrumentales et l’ouverture musicale ont permis de surmonter les difficultés et, surtout, ont donné à Didier Levallet la plus grande liberté pour écrire une musique inouïe. Les cinq membres de cet ensemble ont pratiqué tous les genres de musique. Ils possèdent une vaste gamme de timbres et évoluent confortablement dans tous les registres de leur instrument. Didier Levallet a conçu pour eux des arrangements à la fois doux et puissants, mettant en valeur des phrases longues, contournées, qui retiennent l’oreille parce qu’elles possèdent un sens de la direction sans que celle-ci ne soit dévoilée avant l’arrivée. La grande réussite de « Voix croisées » est que les combinaisons de timbres, les harmonies riches et pulpeuses, les mélodies au chant insolite sont dotées d’une ardeur jubilante par une conduite de la phrase qui doit autant à la qualité des partitions qu’au talent des improvisateurs. Une des compositions de Didier Levallet tire son titre d’un recueil de Paul Eluard : « Le dur désir de durer » ; « Voix croisées » illustre à merveille un vers de « Notre Mouvement » : « le long plaisir pourtant de nos métamorphoses ».
Par Denis-Constant MARTIN – POLITIS
En dépit des charges qu’entraîne la direction d’un tel établissement, Didier Levallet ne cesse de faire de la musique, il compose et surtout pratique l’improvisation libre avec de vieux complices. Pour le festival de Nevers, il réunit en 2004 un groupe dans lequel figurent la jeune trompettiste Airelle Besson, qui l’impressionne par son aisance et la grâce de son jeu, et le batteur François Laizeau, précis, musical, doté d’un très beau son. Lorsque Didier Levallet quitte Montbéliard en 2011, il sait que c’est autour de ces deux musiciens qu’il va organiser son nouvel ensemble. Il décide d’y ajouter la flûtiste Sylvaine Hélary, artiste aux curiosités insatiables, et retrouve la saxophoniste baryton Céline Bonacina, jazzwomen à la formation classique. La réunion de ces trois souffleuses tient avant tout à leur personnalité musicale. « J’ai choisi des personnes plus que des instruments. Le fait que ce soit des femmes est accidentel. Ce sont trois individualités différentes, mais on ne peut nier qu’elles introduisent une sensibilité féminine - chacune la sienne – dans leur musique. Il se trouve que cela constitue un orchestre inhabituel avec trois femmes au premier plan. Cela correspond à l’avènement d’une génération de musiciennes très talentueuses, mais il n’est pas question d’en faire un fonds de commerce. » Ce choix humain et musical présentait un défi : faire chanter ensemble des instruments qui ne sont pas ordinairement associés. Les qualités instrumentales et l’ouverture musicale ont permis de surmonter les difficultés et, surtout, ont donné à Didier Levallet la plus grande liberté pour écrire une musique inouïe. Les cinq membres de cet ensemble ont pratiqué tous les genres de musique. Ils possèdent une vaste gamme de timbres et évoluent confortablement dans tous les registres de leur instrument. Didier Levallet a conçu pour eux des arrangements à la fois doux et puissants, mettant en valeur des phrases longues, contournées, qui retiennent l’oreille parce qu’elles possèdent un sens de la direction sans que celle-ci ne soit dévoilée avant l’arrivée. La grande réussite de « Voix croisées » est que les combinaisons de timbres, les harmonies riches et pulpeuses, les mélodies au chant insolite sont dotées d’une ardeur jubilante par une conduite de la phrase qui doit autant à la qualité des partitions qu’au talent des improvisateurs. Une des compositions de Didier Levallet tire son titre d’un recueil de Paul Eluard : « Le dur désir de durer » ; « Voix croisées » illustre à merveille un vers de « Notre Mouvement » : « le long plaisir pourtant de nos métamorphoses ».
Par Denis-Constant MARTIN – POLITIS