LA PLEIADE DE LA SONO MONDIALE PAR L'EXPRESS


LA PLEAIDE DE LA SONO MONDIALE

Un catalogue à faire frémir les plus grands éditeurs de disques de la planète. S’il n’a pas que des succès, Frémeaux & Associés aligne toutes sortes d’étoiles.

Quel éditeur peut se flatter de posséder à son catalogue l’intégrale des œuvres de jeunesse du sorcier Jelly Roll Morton ou du virtuose de swing manouche Django Reinhardt (40 CD !), de la collaboration Billie Holiday-Lester Young (3 CD), des coffrets rarissimes de Lionel Hampton, Coleman Hawkins et Charlie Parker, mais aussi, aux sources du blues, de Robert (Sweet Home Chicago) Johnson, du guitariste Big Bill Broonzy ou du maître de l’harmonica Sonny Boy Williamson ? Quel même éditeur peut aligner, à côté des disques célébrant l’âge d’or du rythm’n’blues, du hillbilly, du western swing, du musette ou du fado, des albums savant consacrés aux musiques cajun, yiddish, malgache et bengali ?
« Un phénoménal territoire vacant »

Aussi discret que son projet s’avère ambitieux, Frémeaux & Associés entend éditer « le patrimoine des musiques populaires de la première moitié du XX ème siècle ». Pas moins. Une sorte de pléiade de la sono mondiale appuyée, pour les livrets, sur la collaboration des plumes les plus érudites (Alain Gerber pour le jazz, Jean-Christophe Averty pour le music-hall, François Jouffa…) « Nous occupons un territoire phénoménal laissé vacant par le CNRS, l’INA ou le ministère de la Culture », note Patrick Frémeaux, le jeune patron de la maison de disques. Drôle de pari, tout de même, quand on sait qu’une grande compagnie de disques ne gardera jamais une œuvre dont les ventes annuelles sont inférieures à 500 exemplaires. A titre de comparaison, Frémeaux a vendu 200 unités de ses Chants de Papouasie. Quant au double CD de choro brésilien, ce mélange de samba, valse européenne et rythmes africains, il a bravement atteint la barre des 800. « Un score plus qu’honorable ! s’amuse Patrick Frémeaux. Nos ventes sont faibles, mais étalées dans le temps. Un ouvrage de référence comme notre coffret Cocteau est en permanence réassorti au Tower Records de Miami, au Wave de Tokyo et à la Fnac des Halles. Quant aux albums tsiganes, produits en 1992, ils ne sont devenus rentables que sept ans plus tard. » Entre la collecte des sources, longue et complexe, la restauration sonore, l’écriture du livret, la promotion des ventes et la commercialisation (la participation de Night & Day se limitant à la distribution), le moindre budget de réédition de Frémeaux représente le double de celui d’un éditeur indépendant pour un disque de musique vivante. L’économie de ce franc-tireur reste donc fondée sur un pari risqué. Théoriquement, il aurait dû déposer le bilan il y a belle lurette.
Une pluie de distinctions méritées

Sa recette ? Autofinancement, gestion draconienne, charges fixes minimales, salaires et honoraires avoisinant le Smic. Et la foi ! A 33 ans, Patrick Frémeaux gère sa petite multinationale, en compagnie de son associée Claude Colombini, avec un engagement quasi militant. Mais cet ancien cancre, toqué de musiques du monde, a peu à peu reçu une pluie de distinctions méritées. La presse du monde entier a suivi. Aujourd’hui, il annonce un chiffre d’affaires d’environ 30 millions de francs, réalisé dans une trentaine de pays. Et des bénéfices, en recettes pures et en augmentation de stock ! Régulièrement épinglé par les critiques qui, confondant le travail sur la mémoire et la mode revivaliste qui consiste à faire monter sur scène des vétérans pour un ultime tour de chant, cet éditeur atypique hausse les épaules. « Toute chose appartient à qui sait en jouir », lâche-t-il, en reprenant la belle devise de Gide.
Pascal DUPONT – L’EXPRESS