« Faussement désinvolte, son style reposait sur un art inimitable, laissant les coutures invisibles. Françoise Sagan est la petite-nièce éternellement mineure de Mme de Lafayette, dont elle descend en droite ligne. Un article sur sa vie, six pages. Une critique de son œuvre, un ou deux feuillets, avec une grande photo. L’éclat de sa vie éclipse la vivacité de ses romans. Sa parfaite simplicité l’a faite moins estimée que ses contemporains plus pédants. Son fidèle ami Bertrand Frank lui-même la sous-estima jusqu’au jour où il échoua à réécrire un passage bancal. Il comprit alors que, si les livre de son amie se lisaient avec autant de plaisir que les romans policiers, leur apparente facilité était inimitable. Il ne comprit jamais comment elle les fabriquait. Singer Marguerite Duras, Christine Angot fait ça très bien. Sagan, c’est une autre affaire. Bonjour tristesse, par exemple. Un livre méconnu de Sagan. On a beau le retourner en tous sens, les coutures restent invisibles. Même très jeune, Sagan avait trop de panache pour poser en femme de lettres. Ça tient drôlement le coup, Bonjour tristesse. La vivacité du texte, un mystère. Comment une gamine a-t-elle pu écrire un texte si abouti, avec autant d’aisance ? Le naturel, l’intelligence, la justesse frappent de la première à la dernière ligne. Le miracle c’est la taille du livre, à la mesure exacte de son contenu. « J’ai fait ce qu’on me disait de faire à l’école. On m’a toujours dit d’être brève et précise. C’est ce que j’ai fait. ». Exacte et naturelle, Sagan a dépeint les sentiments avec une sagacité concise, subtile et parfois cruelle. Dédicaçant Bonjour tristesse à Colette, elle écrivit : « A madame Colette, en priant pour que ce livre lui face éprouver le centième du plaisir que m’ont donné les siens. En hommage, Françoise Sagan. ». Comme son aimable aînée, Sagan a écrit par jeu, avec une désinvolture souple. C’est de plaisir qu’il s’agit, et de rien d’autre. Du bonheur d’écrire. Sagan est joyeuse, et ses personnages sont des hochets. Le plaisir, donc, et rien d’autre. Ce même plaisir qu’elle partage avec ses lecteurs. Un bon livre est une présence. Ce qui est enthousiasmant, dans Bonjour tristesse, c’est qu’il ressuscite la présence de Sagan, sa vois acide de très jeune fille, son intelligence un brin sadique. Le merveilleux de certains livres, c’est qu’ils sont vivants, ils parlent, l’auteur est là, il chuchote. Un bon livre est habité. La cruauté de Sagan : Un orage immobile. Un bijou. Si on le lisait sans connaître l’auteur, on se demanderait quel petit-maître l’a écrit, mais on ne devinerait pas sa signature. On aimerait Sagan pour elle-même, comme disait Antoine Blondin. Ni l’époque ni les personnage du livre ne lui ressemblent. Aucun tic ne met sur la piste. Elle a d’abord songé à publier Orage immobile sous un pseudo, mais son éditeur a refusé. Pourtant, sa signature ici importe peu. Si le livre est réussi, c’est malgré elle. Lorsqu’elle l’évoque plus tard, elle avoue s’être peu intéressée à ses personnages et s’emmêle dans le résumé de l’intrigue. Si ce pur roman 1830 doit a Stendhal, à Balzac, à Thackeray ou à Jane Austen par sa cruauté et son tranchant, l’intrigue est siglée Sagan : deux personnages s’aiment, le troisième les regarde et souffre. Son meilleur livre n’a pas été publié : un recueil de ses aphorismes et sentences. Même dans ses livres les plus bâclés, on trouve des petits miracles d’expression. Et puis il y a ses articles, ses interviews. Car Sagan, miraculeusement douée pour les entretiens, les agrémente de remarques de haute volée. Françoise Sagan possédait un trésor : un cœur intelligent. Il bat encore dans son œuvre. Avec mon meilleur souvenir, par exemple. Si l’on doit lire un seul livre de Sagan, c’est celui-là. Dix courts portraits, dix chefs-d’œuvre. Bienveillance et concision : l’élégance absolue. La bonté pour unique règle morale, ce n’est pas rien. C’est une lecture qui rend meilleur. C’est le meilleur de Françoise Sagan. »
Par Marie-Dominique Lelièvre — LE MAGAZINE LITTERAIRE
Par Marie-Dominique Lelièvre — LE MAGAZINE LITTERAIRE