« Cette poignée de rengaines sanglantes et désolées renvoie l’image d’une Amérique hyperréaliste.
Naissance d’une nation Etats-Unis. Longtemps avant d’entrer en maison de retraite, les folksongs avaient des fourmis dans les jambes, une araignée au plafond et le feu dans le pantalon. Gens de sac et de corde, malfrats légendaires et filous insaisissables, les premiers héros du folk sont en cavale, sautant de blues en country et de pseudonyme en surnom avec un art consommé du brouillage de pistes. Ainsi Stackalee (ou Stagolee, ou Staggerlee), qui pour une sombre histoire de chapeau volé flingua un certain William Lyons un soir de décembre 1895 à Saint Louis, Missouri. Repris par à peu près tout le monde, de Jerry Lee Lewis à Tim Hardin et de James Brown à Bob Dylan, le blues qu’il inspira échoua récemment sur le Murder Ballads de Nick Cave. Mais longtemps avant que des thèses d’ethnomusicologie ne lui soient consacrées (ainsi que d’impressionnants articles de Greil Marcus, qui depuis son mythique Mystery trains traque les ramifications de la chanson avec un zèle confinant à l’obsession), Stackalee fut enregistré par Frank Hutchinson, un Blanc pommadé qui chantait comme le frère de Robert Johnson, dans une impeccable version providentiellement exhumée sur la nouvelle anthologie de Frémeaux & Associés. Fascinant foutoir. Une complainte irlandaise donne naissance à un blues, superbement chanté par Jimmie Rodgers, le patriarche de la country-music (Gambling barroom blues) ; la Carter Family découvre Rambling boy, où l’on devine à l’état d’ébauche la mélodie du célèbre Lost highway, immortalisé plus tard par Hank Williams ; la première chanson, The Coo coo bird, éclipse les interprétations qu’en ont données Janis Joplin et Kristin Hersh. Sur les (belles) photos du livret, des familles endimanchées posent avec une raideur hiétatique, une hutte de trappeur perdue au fond des Appalaches respire la quiétude sylvestre. Images idylliques, mais les paroles de ces chansons pouilleuses (conditions d’enregistrement radicalement rustiques) et admirables (les voix célestes de la Carter Family) détaillent des vies brisées par un labeur usant (Nine pound hammer) et des passions amoureuses s’achevant dans le sang (Frankie and Johnnie). Cette Old time country music est la voix d’une nation à peine sortie de l’adolescence et déjà esquintée ; les tourments qu’elle exprime sont le meilleur des antidotes à la nostalgie d’un âge d’or fictif qu’entretient aujourd’hui la ville de Nashville. » Bruno Juffin – Les Inrockuptibles
Naissance d’une nation Etats-Unis. Longtemps avant d’entrer en maison de retraite, les folksongs avaient des fourmis dans les jambes, une araignée au plafond et le feu dans le pantalon. Gens de sac et de corde, malfrats légendaires et filous insaisissables, les premiers héros du folk sont en cavale, sautant de blues en country et de pseudonyme en surnom avec un art consommé du brouillage de pistes. Ainsi Stackalee (ou Stagolee, ou Staggerlee), qui pour une sombre histoire de chapeau volé flingua un certain William Lyons un soir de décembre 1895 à Saint Louis, Missouri. Repris par à peu près tout le monde, de Jerry Lee Lewis à Tim Hardin et de James Brown à Bob Dylan, le blues qu’il inspira échoua récemment sur le Murder Ballads de Nick Cave. Mais longtemps avant que des thèses d’ethnomusicologie ne lui soient consacrées (ainsi que d’impressionnants articles de Greil Marcus, qui depuis son mythique Mystery trains traque les ramifications de la chanson avec un zèle confinant à l’obsession), Stackalee fut enregistré par Frank Hutchinson, un Blanc pommadé qui chantait comme le frère de Robert Johnson, dans une impeccable version providentiellement exhumée sur la nouvelle anthologie de Frémeaux & Associés. Fascinant foutoir. Une complainte irlandaise donne naissance à un blues, superbement chanté par Jimmie Rodgers, le patriarche de la country-music (Gambling barroom blues) ; la Carter Family découvre Rambling boy, où l’on devine à l’état d’ébauche la mélodie du célèbre Lost highway, immortalisé plus tard par Hank Williams ; la première chanson, The Coo coo bird, éclipse les interprétations qu’en ont données Janis Joplin et Kristin Hersh. Sur les (belles) photos du livret, des familles endimanchées posent avec une raideur hiétatique, une hutte de trappeur perdue au fond des Appalaches respire la quiétude sylvestre. Images idylliques, mais les paroles de ces chansons pouilleuses (conditions d’enregistrement radicalement rustiques) et admirables (les voix célestes de la Carter Family) détaillent des vies brisées par un labeur usant (Nine pound hammer) et des passions amoureuses s’achevant dans le sang (Frankie and Johnnie). Cette Old time country music est la voix d’une nation à peine sortie de l’adolescence et déjà esquintée ; les tourments qu’elle exprime sont le meilleur des antidotes à la nostalgie d’un âge d’or fictif qu’entretient aujourd’hui la ville de Nashville. » Bruno Juffin – Les Inrockuptibles