Le come back : ce coffret de 3 cds (60 faces) est sans doute le signe d’un retour en grâce de ce chanteur / pianiste de génie qui s’installa en France au début des années 60 et finit par lasser ses auditoires européens non seulement par la fréquence exagérée de ses prestations mais aussi parce qu’il en était arrivé à toujours ressasser les mêmes morceaux. A la mort en 1988 de Peter « Memphis Slim » Chatman, ses nombreux enregistrements tombèrent dans l’oubli – sauf pour une poignée d’inconditionnels – mais cette traversée de désert semble arriver à son terme, il était temps. Ces 60 morceaux judicieusement sélectionnés par Gérard Herzhaft lui rendent enfin justice, chaque disque couvre une période différente de la longue carrière de Memphis Slim. Le premier, « From Memphis to Chicago » (1940-1951), présente d’abord Chatman à Chicago dans l’équipe Bluebird de Lester Melrose, avec Washboard Sam et consorts, puis dans une formule avec cuivres qui va lui permettre de passer haut la main dans un Chicago blues plus moderne, celui des années postérieures à la deuxième guerre mondiale qui envoie aux oubliettes les vieux styles à la Bluebird. Avec ses Houserockers, Chatman va graver quelques faces entre r&b et jazz moderne qui ont brillamment franchi l’épreuve du temps comme « Midnight Jump » (be bop à fond), « Nobody loves me » (version 1947 de « Everyday I have the blues », la meilleure), « Rockin’ the house », « No mail blues » ou « Tia Juana » syncopé, teinté de habanera, etc. A partir de 1952, nouveau tournant dans les goûts musicaux des Noirs Américains et émergence du rock and roll, Memphis Slim s’y adapte parfaitement, sans renier ses racines, avec un r&b très populaire, sujet du disque n°2 « Memphis Slim USA » (1952-1959) mais, de même que la présence soutenue des souffleurs, l’arrivée du guitariste Matt Murphy dès 1952 est aussi un élément déterminant dans le succès phénoménal que Memphis Slim et son band vont connaître tout au long des années 50. Murphy est un virtuose bourré de talent qui transcende un nombre incroyable de faces comme « I love my baby », « Blue and lonesome », « What’s the matter » et bien d’autres encore (comme les 8 faces de la séance du 8 août 1959 à Chicago, toutes absolument superbes, mais surtout « Wish me well » et « Gotta find my baby… »). A ce stade, Chatman, vedette incontestée du blues, se sent parfaitement à l’aise chez lui en Amérique et n’envisage pas du tout une carrière en Europe, mais sa présence au sein des American Folk Blues Festivals de 1962 et 1963, avec Willie Dixon (et Matt Murphy !) ainsi que le succès des tournées, comme le respect et l’enthousiasme des foules européennes vont le faire changer d’avis, son installation à Paris est le thème du 3ème disque « Exile to Europe » (1960-1961) ; Memphis Slim enchaîne les enregistrements en France mais aussi aux USA dont il garde la nostalgie, soit en solo, soit avec des partenaires de circonstance, car Matt Murphy a rejoint James Cotton puis entamé une carrière solo qui le conduira, entre autre, à apparaître dans le film The Blues Brothers (1980). Il retrouvera encore Memphis Slim en 1961 pour quelques faces gravées à Chicago dont un très beau « Lonesome ». Pour le reste, il y aura des faces gravées à Londres en 1960 avec Alexis Koerner (très discret), d’autres à New York, en 1960 toujours, avec Lafayette Thomas, un guitariste surdoué dont il existe trop peu d’enregistrements pour se passer des 5 faces reprises ici dont « Raining the blues », « Baby doll », etc, et en 1961 avec Muddy Waters (super discret). Ensuite, la carrière de Memphis Slim suivra son cours, même si elle s’enlise dans une routine où sa créativité se réduit comme peau de chagrin. Bref, la période choisie par Gérard Herzhaft est assurément celle ou le talent de Slim est au top, il est mis en valeur et le plaisir d’écoute des 60 morceaux est garanti.
Par Robert SACRE - ABS MAGAZINE
Par Robert SACRE - ABS MAGAZINE