TEMPS FORT - LES EDITEURS DE PATRIMOINE SONORE DEFENDENT LE DOMAINE PUBLIC
Alors que les producteurs (Snep, SCPP, Ifpi…) réclament l’allongement de la durée des droits voisins, les éditeurs phonographiques de patrimoine s’y opposent, défendant le domaine public et ses enjeux. Leur chef de file, Patrick Frémeaux, PDG et fondateur de Frémeaux et Associés, a remis au ministère de la Culture un « Mémoire vert » pour alimenter sa réflexion sur ce sujet. La loi du 3 juillet 1985, dite loi Lang, a fixé à 50 ans la durée des droits voisins des producteurs et artistes-interprètes. Une période jugée trop courte par les intéressés qui réclament son allongement à 7 ans (comme en bénéficient les auteurs), inquiets de voir aujourd’hui tous les enregistrements antérieurs à 1951 basculer dans le domaine public. D’où un « lobbying récurrent » des majors, « d’un certain nombre d’artistes, ainsi que des héritiers de nombreux artistes décédés ».
Domaine public vs domaine protégé
Si la revendication paraît concevable à Patrick Frémeaux « pour permettre à quelques artistes comme Charles Aznavour ou Eddy Mitchell de percevoir plus longtemps leurs droits d’interprètes », « il n’est pas juste en revanche de refuser dans le même temps, la sauvegarde et la mise à la disposition du public de milliers d’artistes dont la réédition n’intéresse pas les majors, faute d’un potentiel commercial important », estime-t-il , en posant « pour un artiste arrivant par exemple à l’âge de 75 ans, la question légitime de ne plus percevoir de droit d’interprète sur une œuvre diffusée au public quand il avait 24 ans ».Il souligne les « conséquences fatales » de l’allongement de la durée du domaine protégé, qui interdirait au éditeurs de patrimoine de poursuivre leur travail de sauvegarde de notre héritage sonore. Des dizaines de milliers d’œuvres, d’entretiens ou de témoignages enregistrés disparaîtraient ainsi du patrimoine. « Au-delà du préjudice causé à une grande part de l’activité d’édition phonographique, il en résulterait pour le bien public un dommage définitif par la perte de trésors irremplaçables ». De nombreux brevets sont limités à 10 ans. Les dessins et modèles sont protégés entre 5 et 25 ans. La durée du brevet européen est de 20 ans. Et « le domaine protégé des compagnies majors représente aujourd’hui une période 5 fois plus longue que celle accordée aux laboratoires pharmaceutiques pour l’amortissement et l’exploitation exclusive de leurs recherches en tant qu’œuvres de l’esprit », rappelle par ailleurs le mémoire. Pour son auteur, une modification de la loi privilégierait « les intérêts financiers des interprètes et des majors, au détriment de la nécessaire pérennité d’une muséographie sonore ». L’entrée dans le domaine public « permet une relecture historique des courants musicaux et de leurs interprètes, elle donne aussi la possibilité de réinjecter en dehors de l’économie de masse les enregistrements audio assimilés au patrimoine », explique-t-il, en soulignant au passage la raréfaction des fonds sonores (il existe peu de collectionneurs, et ils disparaissent peu à peu) d’où l’importance d’alimenter le domaine public. L’éditeur insiste sur cette notion de patrimoine sonore et regrette que son existence « comme élément de culture et objet d’histoire à part entière » ne soit pas reconnue aujourd’hui par les pouvoirs publics. Il note l’absence d’aide institutionnelle ou de fondation privée pour le maintien, la restauration, la conservation, la restitution au public du fond d’archives sonores (Frémeaux et Associés y consacre en moyenne 1.8 million d’euros par an pour 100 heures de patrimoine musical et 40 heures de patrimoine historique ou de diction) ; tout comme l’absence d’institution ou de lieu de stockage pour les derniers collectionneurs qui cherchent souvent une solution de donation. La BNF (Phonothèque nationale) « n’a jamais témoigné de réelle volonté de mise en valeur et de diffusion du patrimoine sonore ». Les sociétés civiles n’ont pas prévu d’aide au patrimoine, etc.
Alors que les producteurs (Snep, SCPP, Ifpi…) réclament l’allongement de la durée des droits voisins, les éditeurs phonographiques de patrimoine s’y opposent, défendant le domaine public et ses enjeux. Leur chef de file, Patrick Frémeaux, PDG et fondateur de Frémeaux et Associés, a remis au ministère de la Culture un « Mémoire vert » pour alimenter sa réflexion sur ce sujet. La loi du 3 juillet 1985, dite loi Lang, a fixé à 50 ans la durée des droits voisins des producteurs et artistes-interprètes. Une période jugée trop courte par les intéressés qui réclament son allongement à 7 ans (comme en bénéficient les auteurs), inquiets de voir aujourd’hui tous les enregistrements antérieurs à 1951 basculer dans le domaine public. D’où un « lobbying récurrent » des majors, « d’un certain nombre d’artistes, ainsi que des héritiers de nombreux artistes décédés ».
Domaine public vs domaine protégé
Si la revendication paraît concevable à Patrick Frémeaux « pour permettre à quelques artistes comme Charles Aznavour ou Eddy Mitchell de percevoir plus longtemps leurs droits d’interprètes », « il n’est pas juste en revanche de refuser dans le même temps, la sauvegarde et la mise à la disposition du public de milliers d’artistes dont la réédition n’intéresse pas les majors, faute d’un potentiel commercial important », estime-t-il , en posant « pour un artiste arrivant par exemple à l’âge de 75 ans, la question légitime de ne plus percevoir de droit d’interprète sur une œuvre diffusée au public quand il avait 24 ans ».Il souligne les « conséquences fatales » de l’allongement de la durée du domaine protégé, qui interdirait au éditeurs de patrimoine de poursuivre leur travail de sauvegarde de notre héritage sonore. Des dizaines de milliers d’œuvres, d’entretiens ou de témoignages enregistrés disparaîtraient ainsi du patrimoine. « Au-delà du préjudice causé à une grande part de l’activité d’édition phonographique, il en résulterait pour le bien public un dommage définitif par la perte de trésors irremplaçables ». De nombreux brevets sont limités à 10 ans. Les dessins et modèles sont protégés entre 5 et 25 ans. La durée du brevet européen est de 20 ans. Et « le domaine protégé des compagnies majors représente aujourd’hui une période 5 fois plus longue que celle accordée aux laboratoires pharmaceutiques pour l’amortissement et l’exploitation exclusive de leurs recherches en tant qu’œuvres de l’esprit », rappelle par ailleurs le mémoire. Pour son auteur, une modification de la loi privilégierait « les intérêts financiers des interprètes et des majors, au détriment de la nécessaire pérennité d’une muséographie sonore ». L’entrée dans le domaine public « permet une relecture historique des courants musicaux et de leurs interprètes, elle donne aussi la possibilité de réinjecter en dehors de l’économie de masse les enregistrements audio assimilés au patrimoine », explique-t-il, en soulignant au passage la raréfaction des fonds sonores (il existe peu de collectionneurs, et ils disparaissent peu à peu) d’où l’importance d’alimenter le domaine public. L’éditeur insiste sur cette notion de patrimoine sonore et regrette que son existence « comme élément de culture et objet d’histoire à part entière » ne soit pas reconnue aujourd’hui par les pouvoirs publics. Il note l’absence d’aide institutionnelle ou de fondation privée pour le maintien, la restauration, la conservation, la restitution au public du fond d’archives sonores (Frémeaux et Associés y consacre en moyenne 1.8 million d’euros par an pour 100 heures de patrimoine musical et 40 heures de patrimoine historique ou de diction) ; tout comme l’absence d’institution ou de lieu de stockage pour les derniers collectionneurs qui cherchent souvent une solution de donation. La BNF (Phonothèque nationale) « n’a jamais témoigné de réelle volonté de mise en valeur et de diffusion du patrimoine sonore ». Les sociétés civiles n’ont pas prévu d’aide au patrimoine, etc.
Concurrence déloyale
Valeur artistique, travail d’inventaire, relecture de courants musicaux, dimension humaine et socio-historique « qui va bien au-delà de la seule musique », intemporalité du répertoire, mise à la disposition du public, des chercheurs et des enseignants, prodigieux outil de transmission des savoirs… Le mémoire dresse un bilan du domaine public dans ses aspects positifs, mais aussi négatifs, évoquant la « concurrence déloyale »arguent du domaine public pour exploiter sans vergogne les grands noms d’artistes ou les thèmes en vogue en copiant sordidement le travail des véritables éditeurs », à des prix de revient bien inférieurs, au motif que l’œuvre reproduite n’était pas protégée par le droit d’auteur.
Pour la création d’une commission d’aide
Pour la création d’une commission d’aide
En conclusion, Patrick Frémeaux considère que le dispositif législatif actuel constitue le « cadre politique parfaitement adapté » à la sauvegarde du patrimoine sonore. Il préconise la création d’une commission d’aide pour favoriser la sauvegarde et la mise à disposition du public des fonds sonores, dont l’importance (artistique, musicologique, ethnologique, historique…) l’emporte sur les critères de rendement financier actuellement pris en compte dans l’édition et la distribution phonographique. Elle aurait parmi ses attributions l’aide aux projets de patrimoine (y compris ceux n’appartenant pas au domaine public) et la création à court terme d’une institution chargée de recueillir et de sauvegarder des collections de phonogrammes souvent uniques au monde, des fonds sonores non édités (ou très partiellement) qui n’intéressent aujourd’hui aucun établissement public. Son budget serait prélevé sur les droits voisins dont les ressources vont substantiellement augmenter (« les pouvoirs publics ont là une opportunité de donner un signal fort pour la reconnaissance de l’existence même d’un patrimoine sonore ») et versé par le biais des sociétés civiles. « La mise en place d’une telle aide irait de pair avec l’exclusion, pour les producteurs de patrimoine, de tout droit à rémunération sur la copie privée. » La création de cette commission, composée d’éditeurs consacrant au moins 30 % de leur chiffre d’affaires au patrimoine sonore, est une « nécessité », insiste Patrick Frémeaux en posant en condition préalable « la reconnaissance officielle et publique de la notion de patrimoine sonore ». « Il sera ainsi possible (…) d’avoir la garantie durable d’une vraie diversité de l’offre culturelle en limitant les risques de concentration horizontale liés au néolibéralisme de l’économie de marché ». Un marche delaissé par les majors
Le Mémoire souligne « l’indifférence des majors », qui « se désintéressent de ce travail de réédition, sauf en ce qui concerne quelques grands artistes encore populaires au bout de 50 ans » (Piaf, Trenet…) La principale raison est d’ordre économique, compte tenu du volume extrêmement limité des ventes potentielles des disques de patrimoine : de quelques centaines à quelques milliers d’exemplaires sur 5 ans par référence, avec une moyenne de 1 800 ventes cumulées sur 8 ans. Donc des seuils de rentabilité très courts et des plans d’amortissement très long (5 à 7 ans, parfois davantage). « Ce fonctionnement est antinomique avec la logique de l’édition de masse », écrit Patrick Frémeaux. Il évoque par ailleurs les difficultés à obtenir des licences auprès des majors (avec une complexité « qui décourage toutes les maisons de disques »). Certaines se refusent quasi systématiquement à répondre aux demandes des éditeurs indépendants, « même pour des titres qu’elles n’exploiteront jamais ». Autres raisons citées : la paranoïa concurrentielle, la durée de production (certains projets peuvent exiger plusieurs années de recherches, de collectage et de travail éditorial. L’intégrale Django Reinhardt est par exemple planifiée sur … 12 ans !), la difficulté d’accès aux supports originaux (matrices 78 tours, mêmes métalliques) qui entraîne un « travail de fourmi à l’échelle internationale et de très longue haleine », la concentration des catalogues… Pour les éditeurs de patrimoine, un projet législatif qui « renforcerait l’hégémonie des majors » serait contraire à la promotion de la diversité culturelle pour laquelle ils militent. La concentration des catalogues « impose aux éditeurs indépendants une obligation culturelle, pédagogique et morale à l’égard du public ».
Gildas LEFEUVRE – MUSIQUE INFO HEBDO
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