Des pans entiers de notre patrimoine sonore sont sauvegardés grâce au travail méticuleux et passionné d'éditeurs indépendants. Voici les secrets d'une bonne réédition musicale.
Il y a plusieurs manières de faire du neuf avec du vieux. A l'opposé des compilations et autres best of, produits purement commerciaux, les rééditions musicales sauvegardent le patrimoine sonore. « C'est une ambition muséographique : comme s'il s'agissait de restaurer une abbaye, nous prenons le passé pour le réoffrir au présent », explique Patrick Frémeaux, grand expert en la matière. Un autre spécialiste, Yves Riesel, le patron d'Abeille Musique (le plus important label indépendant de musique classique), abonde dans le même sens : « La réédition est une réappropriation d'un patrimoine culturel. Il s'agit de faire vivre la mémoire discographique. »
Un travail de limier
Les rééditions sont rarement réalisées par les multinationales du disque, qui, pourtant, ont effectué les enregistrements d'origine. Elles s'en désintéressent parce que les ventes potentielles de ces « vieux » enregistrements sont limitées à court et moyen terme, et que leur modèle économique repose sur des produits à forte rotation permettant de réaliser de grandes plus-values en un temps record. Ainsi, ce n'est pas Pathé Marconi (EMI) qui s'est attaqué à publier une intégrale Django Reinhardt, mais Frémeaux & Associés. « C'est un projet en 20 volumes de 2 CD d'un coût global de 300.000 euros, précise Patrick Frémeaux. Cette somme a été récupérée au bout de sept à huit ans lorsque nous avons commercialisé le 15e coffret. Aucune major ne peut mettre autant d'argent tout de suite et dire à ses actionnaires qu'ils percevront peut-être des dividendes plus tard ! » La plupart des rééditions utilisent des oeuvres tombées dans le domaine public (c'est-à-dire que cinquante ans au moins se sont écoulés depuis la première diffusion). Dans le cas contraire, l'éditeur doit obtenir un contrat de licence de la part du détenteur des droits. Un bon travail de réédition coûte cher. « Stewart Brown, passionné de musique classique et patron du prestigieux label Testament, dépense autant d'argent que s'il produisait un artiste aujourd'hui ! », explique Yves Riesel, qui le distribue en France. « Si l'on veut les meilleures sources, une restauration sonore optimale et un bon livret, le travail de réédition nécessité coûte le même prix qu'une session d'enregistrement d'aujourd'hui en jazz ou en musique du monde, c'est-à-dire environ 15.000 euros », explique Patrick Frémeaux. Rééditer une oeuvre, c'est d'abord un travail de fin limier : il faut trouver la meilleure source sonore possible. L'idéal, bien entendu, est de pouvoir disposer de la bande originale. Il arrive fréquemment que la seule source disponible soit un vieux 78 tours. « Dans 60 % des cas, sur ces vinyles, les morceaux ont été reproduits à une vitesse différente de celle de l'enregistrement initial ! » s'amuse Claude Carrière, mémoire encyclopédique du jazz et producteur de l'émission « Jazz Club » sur France Musique. Une mauvaise vitesse change la tonalité du morceau. C'est un peu comme si, dans le domaine de la peinture, tous les livres consacrés à Monet reproduisaient les « Coquelicots » en violet ! Le premier travail est donc de retrouver la bonne vitesse. Il faut ensuite aller dans un studio spécialisé et nettoyer les scories repérées sur la source. « Il nous arrive de «calmer» des enregistrements trop agressifs de l'époque qui, parfois, saturent », explique-t-il. A force de vouloir enlever les grattements ou le souffle, certains éditeurs finissent aussi par enlever de la musique. D'autres introduisent une « fausse » stéréo et le son perd en précision, comme si les instruments étaient « enrhumés ». Une réédition digne de ce nom s'accompagne forcément d'un travail éditorial considérable. Outre la présentation des artistes et des morceaux, les meilleurs livrets fournissent également les indications sur les solistes : qui joue, quand et sur combien de mesures ? Un vrai travail de bénédictin !
Renaud CZARNES - LES ECHOS
Il y a plusieurs manières de faire du neuf avec du vieux. A l'opposé des compilations et autres best of, produits purement commerciaux, les rééditions musicales sauvegardent le patrimoine sonore. « C'est une ambition muséographique : comme s'il s'agissait de restaurer une abbaye, nous prenons le passé pour le réoffrir au présent », explique Patrick Frémeaux, grand expert en la matière. Un autre spécialiste, Yves Riesel, le patron d'Abeille Musique (le plus important label indépendant de musique classique), abonde dans le même sens : « La réédition est une réappropriation d'un patrimoine culturel. Il s'agit de faire vivre la mémoire discographique. »
Un travail de limier
Les rééditions sont rarement réalisées par les multinationales du disque, qui, pourtant, ont effectué les enregistrements d'origine. Elles s'en désintéressent parce que les ventes potentielles de ces « vieux » enregistrements sont limitées à court et moyen terme, et que leur modèle économique repose sur des produits à forte rotation permettant de réaliser de grandes plus-values en un temps record. Ainsi, ce n'est pas Pathé Marconi (EMI) qui s'est attaqué à publier une intégrale Django Reinhardt, mais Frémeaux & Associés. « C'est un projet en 20 volumes de 2 CD d'un coût global de 300.000 euros, précise Patrick Frémeaux. Cette somme a été récupérée au bout de sept à huit ans lorsque nous avons commercialisé le 15e coffret. Aucune major ne peut mettre autant d'argent tout de suite et dire à ses actionnaires qu'ils percevront peut-être des dividendes plus tard ! » La plupart des rééditions utilisent des oeuvres tombées dans le domaine public (c'est-à-dire que cinquante ans au moins se sont écoulés depuis la première diffusion). Dans le cas contraire, l'éditeur doit obtenir un contrat de licence de la part du détenteur des droits. Un bon travail de réédition coûte cher. « Stewart Brown, passionné de musique classique et patron du prestigieux label Testament, dépense autant d'argent que s'il produisait un artiste aujourd'hui ! », explique Yves Riesel, qui le distribue en France. « Si l'on veut les meilleures sources, une restauration sonore optimale et un bon livret, le travail de réédition nécessité coûte le même prix qu'une session d'enregistrement d'aujourd'hui en jazz ou en musique du monde, c'est-à-dire environ 15.000 euros », explique Patrick Frémeaux. Rééditer une oeuvre, c'est d'abord un travail de fin limier : il faut trouver la meilleure source sonore possible. L'idéal, bien entendu, est de pouvoir disposer de la bande originale. Il arrive fréquemment que la seule source disponible soit un vieux 78 tours. « Dans 60 % des cas, sur ces vinyles, les morceaux ont été reproduits à une vitesse différente de celle de l'enregistrement initial ! » s'amuse Claude Carrière, mémoire encyclopédique du jazz et producteur de l'émission « Jazz Club » sur France Musique. Une mauvaise vitesse change la tonalité du morceau. C'est un peu comme si, dans le domaine de la peinture, tous les livres consacrés à Monet reproduisaient les « Coquelicots » en violet ! Le premier travail est donc de retrouver la bonne vitesse. Il faut ensuite aller dans un studio spécialisé et nettoyer les scories repérées sur la source. « Il nous arrive de «calmer» des enregistrements trop agressifs de l'époque qui, parfois, saturent », explique-t-il. A force de vouloir enlever les grattements ou le souffle, certains éditeurs finissent aussi par enlever de la musique. D'autres introduisent une « fausse » stéréo et le son perd en précision, comme si les instruments étaient « enrhumés ». Une réédition digne de ce nom s'accompagne forcément d'un travail éditorial considérable. Outre la présentation des artistes et des morceaux, les meilleurs livrets fournissent également les indications sur les solistes : qui joue, quand et sur combien de mesures ? Un vrai travail de bénédictin !
Renaud CZARNES - LES ECHOS
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