« Quid des objets de l’art tribal d’aujourd’hui ? Relèvent-ils de la création ou du répertoire ? Relèvent-ils de l’art ou de l’artisanat ? Patrick Frémeaux, dans cette conférence donnée au musée d’Art moderne de Troyes à l’occasion de l’exposition "collections croisées", pose les bonnes questions. De celles qui embarrassent parce qu’elles interrogent autant notre regard sur un art que nous nous refusons toujours à reconnaître, que sur les préjugés qui façonnent assidûment notre représentation de l’art occidental, que ce soit celui de l’âge classique ou celui de l’âge moderne, voire de l’art contemporain, sur la question de la signature par exemple, ou celle de l’unicité de l’œuvre, dont un Walter Benjamin avait pourtant magistralement scellé le sort, croyait-on, dans son fameux article sur l’œuvre d’art à l’âge de la reproductibilité. L’idée centrale de cette conférence, c’est bien évidemment le mépris, la méconnaissance, l’arrogance sinon la condescendance des institutions autant que du public à l’égard de l’art tribal d’aujourd’hui, perçu comme une besogne d’artisans, plutôt que la création d’artistes s’inscrivant dans une histoire artistique que nous n’avons jamais songé à écrire… Avec beaucoup d’à propos, Patrick Frémeaux met en évidence trois préjugés très forts qui structurent ce mépris : ceux, avant tout, de l’antiquaire pourrions-nous dire, et de l’ethnologue, construisant deux stratégies faites pour éviter d’avoir à poser la question de savoir comment décoder cette forme d’art…
La règle de l’antiquaire n’attache de valeur à l’objet tribal qu’à sa condition d’ancienneté. Il est le dépositaire d’une époque, qu’il signe formellement. Au mieux, l’habileté de l’artisan copiant un répertoire identifié permettra de solder un objet d’aujourd’hui à bas prix. Quant au musée, il n’agit pas autrement, sanctionnant un registre dûment authentifié et daté par les historiens. Le préjugé ethnologique, lui, dénie plus clairement encore toute dimension artistique à l’objet en question, comme le masque par exemple, qui ne prend sens que dans la perspective de sa fonction : sa vérité formelle ne se justifie que dansée. Et l’un et l’autre se conjuguent pour convoquer une fois de plus le préjugé de la pureté, l’objet tribal ne gagnant d’une part en réputation qu’à la condition de n’avoir pas été exposé aux cultures autres, de présenter la plus petite surface d’acculturation possible, et d’autre part, qu’à la condition d’être décrit par les mots de l’ethnologue, capables de retrouver la trace des origines, non celui du critique d’art contemporain… »
Par Joël JEGOUZO – BLOG MINISTRE DE LA CULTURE
La règle de l’antiquaire n’attache de valeur à l’objet tribal qu’à sa condition d’ancienneté. Il est le dépositaire d’une époque, qu’il signe formellement. Au mieux, l’habileté de l’artisan copiant un répertoire identifié permettra de solder un objet d’aujourd’hui à bas prix. Quant au musée, il n’agit pas autrement, sanctionnant un registre dûment authentifié et daté par les historiens. Le préjugé ethnologique, lui, dénie plus clairement encore toute dimension artistique à l’objet en question, comme le masque par exemple, qui ne prend sens que dans la perspective de sa fonction : sa vérité formelle ne se justifie que dansée. Et l’un et l’autre se conjuguent pour convoquer une fois de plus le préjugé de la pureté, l’objet tribal ne gagnant d’une part en réputation qu’à la condition de n’avoir pas été exposé aux cultures autres, de présenter la plus petite surface d’acculturation possible, et d’autre part, qu’à la condition d’être décrit par les mots de l’ethnologue, capables de retrouver la trace des origines, non celui du critique d’art contemporain… »
Par Joël JEGOUZO – BLOG MINISTRE DE LA CULTURE