"Cette anthologie, de trois CDs très bien remplis, est consacrée, en ce concerne les deux premiers, aux succès commerciaux les plus gigantesques, en rhythm & blues, en soul music, voire même en pop music, de ce phénomène médiatique qu’était Ray Charles, et, pour le troisième à ce même Ray Charles, mais jouant uniquement du jazz. L’avantage avec Ray Charles, c’est que, tel Midas, tout ce qu’il touchait devenait immédiatement ou du blues ou de la soul.
Le CD1 va de 1949 à 1957. Il ouvre avec « Confession Blues » et un Ray Charles chantant d’une voix se voulant séductrice, à la Nat King Cole. Dès le second morceau « Baby Let Me Hold Your Hand », pourtant, ça y est, il a sa voix, celle qui ne changera plus, prenante, râpeuse, véritable cicatrice de l’âme, blessée et disant sans vraiment le vouloir (la conscience politique lui viendra plus tard) tout ce qui était ressenti par les Afro-Américains et qui se traduira dans les années soixante par les luttes pour les droits civiques. Des blues (« Feeling Sad », « Come Back Baby », « A Fool for You »), des rock and roll (bien que Ray Charles se soit toujours défendu d’en avoir fait, ça y ressemble fort), des airs de rhythm & blues qui se vendirent comme des petits pains (Hallelujah I Love Her So »). Au hasard des titres, on découvre qu’avec lui, jouent de grands jazzmen, comme Wallace Davenport (tp), David « Fathead » Newman (saxes), Panama Francis (dm), Mongo Santamaria (cga). C’est durant cette période qu’il commence à jouer avec les Cookies (« Ain’t That Love »), qui deviendront ses Raelets.
Le CD2 va jusqu’en 1960. Avec ses Cookies-Raelets, il va mettre au point la soul music. « Ain’t That Love » en était déjà. Rappelons pour les novices le sens des termes. Le blues est le versant profane (par opposition au gospel, versant sacré), de la musique afro-américaine. Le rhythm & blues, c’est la chanson populaire afro-américaine, appelée il y a quelques années de là, race records, autrement dit musique pour les Noirs. Le coup de génie de Ray Charles est d’avoir mis des paroles profanes (pour ne pas dire parfois à double sens, voire coquines), sur des airs religieux. Ça s’était déjà fait, avec des gospels où le prêcheur demandait qui avait balancé son whisky dans le puits et autres plaisanteries du même genre. Mais faire ça systématiquement avec des paroles licencieuses, olé-olé, phallocratiques, personne n’avait vraiment osé. Le morceau qui va symboliser ce coup de génie, c’est bien sûr, « What ‘d I Say », classé n°1 partout dans le monde. Il alliait une musique qui était dans toutes les têtes (les Américains vont régulièrement à la messe et l’on y chante) avec des paroles crues de blues. On m’excusera mais je m’en souviens d’autant mieux que c’était le premier disque que j’offrais à une jolie fille (n’est-ce pas, Suzon ?). Ce fut un succès incroyable. Il est ici. Avec lui, tous les succès de ce qu’on appela la soul music (« That’s Enough », « I Believe to My Soul »). Ces succès rapportent beaucoup d’argent, et les marchands de soupe blancs, et leurs (mauvais) conseils, arrivent aussi. D’où des orchestrations avec déluge de violonades et de voix sucrées, mais, heureusement, comme cela s’est passé pour Louis Armstrong, la voix cassée, brisée, terriblement évocatrice, de Ray Charles transcende tout. « Don’t Let the Sun », « Just a Thrill », « Georgie on My Mind » (on aurait préféré la version live avec flûte) sont effroyablement sirupeux, mais la voix de Ray Charles reste là et son swing aussi, qu’il soit au piano ou à l’orgue. Succès commercial immense, Blancs et Noirs confondus. Ce n’est pas pour rien que « Georgia » va en devenir l’hymne national de la Georgie. Il travaille désormais avec un arrangeur de génie, Quincy Jones, ami de longue date, qui lui signe par exemple un « One Mint Julep ») qui arrive n°1 dans les charts. Il joue avec les meilleurs : Clark Terry (tp), Jimmie Cleveland (tb), Urbie Green (tb), Roy Haynes (dm), Thad Jones (tp), Joe Newman (tp), Al Grey ((tb), Marshall Royal (as), Frank Wess (as), Frank Foster (ts), Freddie Green (g).
Le CD3 est consacré au jazz que, parallèlement, Ray Charles a toujours enregistré, quand il le pouvait, avec les meilleurs, comme Milt Jackson (vib), avec Oscar Pettiford (b) par exemple, ou Percy Heath (b) et Kenny Burrell (g). On le trouve avec les précédemment cités en disques 1 et 2, mais aussi avec Ernie Royal (tp), Paul Gonsalves (ts), Zoot Sims (ts). Sur dix des dix-huit pistes que comporte le CD, Ray Charles ne chante pas et il est clair que son jeu de piano est celui d’un excellent pianiste, qu’il aurait pu se contenter d’être. Et déjà, ç’aurait été très bien. Heureusement pour nous et pour lui, il ne l’a pas fait et il nous reste la voix du Genius, comme on l’a surnommé un peu vite, autrement dit, celle d’un peuple entier.
Pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, allez voir le film Ray. Malgré ses imperfections, voire ses erreurs, il donne une bonne idée de ce que fut la vie du grand Ray Robinson dit Ray Charles."
par Michel BEDIN - ON-MAG
Le CD1 va de 1949 à 1957. Il ouvre avec « Confession Blues » et un Ray Charles chantant d’une voix se voulant séductrice, à la Nat King Cole. Dès le second morceau « Baby Let Me Hold Your Hand », pourtant, ça y est, il a sa voix, celle qui ne changera plus, prenante, râpeuse, véritable cicatrice de l’âme, blessée et disant sans vraiment le vouloir (la conscience politique lui viendra plus tard) tout ce qui était ressenti par les Afro-Américains et qui se traduira dans les années soixante par les luttes pour les droits civiques. Des blues (« Feeling Sad », « Come Back Baby », « A Fool for You »), des rock and roll (bien que Ray Charles se soit toujours défendu d’en avoir fait, ça y ressemble fort), des airs de rhythm & blues qui se vendirent comme des petits pains (Hallelujah I Love Her So »). Au hasard des titres, on découvre qu’avec lui, jouent de grands jazzmen, comme Wallace Davenport (tp), David « Fathead » Newman (saxes), Panama Francis (dm), Mongo Santamaria (cga). C’est durant cette période qu’il commence à jouer avec les Cookies (« Ain’t That Love »), qui deviendront ses Raelets.
Le CD2 va jusqu’en 1960. Avec ses Cookies-Raelets, il va mettre au point la soul music. « Ain’t That Love » en était déjà. Rappelons pour les novices le sens des termes. Le blues est le versant profane (par opposition au gospel, versant sacré), de la musique afro-américaine. Le rhythm & blues, c’est la chanson populaire afro-américaine, appelée il y a quelques années de là, race records, autrement dit musique pour les Noirs. Le coup de génie de Ray Charles est d’avoir mis des paroles profanes (pour ne pas dire parfois à double sens, voire coquines), sur des airs religieux. Ça s’était déjà fait, avec des gospels où le prêcheur demandait qui avait balancé son whisky dans le puits et autres plaisanteries du même genre. Mais faire ça systématiquement avec des paroles licencieuses, olé-olé, phallocratiques, personne n’avait vraiment osé. Le morceau qui va symboliser ce coup de génie, c’est bien sûr, « What ‘d I Say », classé n°1 partout dans le monde. Il alliait une musique qui était dans toutes les têtes (les Américains vont régulièrement à la messe et l’on y chante) avec des paroles crues de blues. On m’excusera mais je m’en souviens d’autant mieux que c’était le premier disque que j’offrais à une jolie fille (n’est-ce pas, Suzon ?). Ce fut un succès incroyable. Il est ici. Avec lui, tous les succès de ce qu’on appela la soul music (« That’s Enough », « I Believe to My Soul »). Ces succès rapportent beaucoup d’argent, et les marchands de soupe blancs, et leurs (mauvais) conseils, arrivent aussi. D’où des orchestrations avec déluge de violonades et de voix sucrées, mais, heureusement, comme cela s’est passé pour Louis Armstrong, la voix cassée, brisée, terriblement évocatrice, de Ray Charles transcende tout. « Don’t Let the Sun », « Just a Thrill », « Georgie on My Mind » (on aurait préféré la version live avec flûte) sont effroyablement sirupeux, mais la voix de Ray Charles reste là et son swing aussi, qu’il soit au piano ou à l’orgue. Succès commercial immense, Blancs et Noirs confondus. Ce n’est pas pour rien que « Georgia » va en devenir l’hymne national de la Georgie. Il travaille désormais avec un arrangeur de génie, Quincy Jones, ami de longue date, qui lui signe par exemple un « One Mint Julep ») qui arrive n°1 dans les charts. Il joue avec les meilleurs : Clark Terry (tp), Jimmie Cleveland (tb), Urbie Green (tb), Roy Haynes (dm), Thad Jones (tp), Joe Newman (tp), Al Grey ((tb), Marshall Royal (as), Frank Wess (as), Frank Foster (ts), Freddie Green (g).
Le CD3 est consacré au jazz que, parallèlement, Ray Charles a toujours enregistré, quand il le pouvait, avec les meilleurs, comme Milt Jackson (vib), avec Oscar Pettiford (b) par exemple, ou Percy Heath (b) et Kenny Burrell (g). On le trouve avec les précédemment cités en disques 1 et 2, mais aussi avec Ernie Royal (tp), Paul Gonsalves (ts), Zoot Sims (ts). Sur dix des dix-huit pistes que comporte le CD, Ray Charles ne chante pas et il est clair que son jeu de piano est celui d’un excellent pianiste, qu’il aurait pu se contenter d’être. Et déjà, ç’aurait été très bien. Heureusement pour nous et pour lui, il ne l’a pas fait et il nous reste la voix du Genius, comme on l’a surnommé un peu vite, autrement dit, celle d’un peuple entier.
Pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, allez voir le film Ray. Malgré ses imperfections, voire ses erreurs, il donne une bonne idée de ce que fut la vie du grand Ray Robinson dit Ray Charles."
par Michel BEDIN - ON-MAG