« Quoi de plus beau d’écouter, et d’enregistrer, en mai, au bord d’un étang, le fameux concert de l’aube où les chants des oiseaux de la roselière et ceux sur l’eau libre, un peu plus loin, se mêlent à ceux des haies ou des pans de forêts qui rejoignent la rive. Tous ces messages sonores d’amour, de rivalité ou de haine se mélangent sans perdre leur clarté…et à nos oreilles humaines, tout ceci paraît harmonieux ! C’est la symphonie de l’étang. »
- Quelles motivations vous ont poussé à devenir preneur de sons ?
J’avais entendu dire qu’il y avait une personne qui enregistrait les oiseaux et qui avait édité, en France un disque d’oiseaux, c’était dans les années 1956-57 ; un ami m’avait dit alors : toi qui t’intéresses aux oiseaux, tu devrais acheter ce disque ; ce que j’ai fait, c’était un petit disque 45 tours sur le Rossignol ; c’était Georges Albous qui avait fait ça. C’est le premier qui est paru en France. J’ai noté l’adresse et j’ai téléphoné à son éditeur, « Le Chant du Monde », qui m’a donné ses coordonnées. J’ai pris rendez-vous chez lui, et il m’a fait écouter des enregistrements qu’il avait faits. Cela a fait « tilt » et, quand je suis sorti de chez lui, je savais ce que j’allais faire. Mais ce que je ne savais pas, c’est qu’il existait des magnétophones portatifs qu’un particulier pouvait acheter. Dans les années 50, les enregistreurs c’était des camions énormes. C’est l’arrivée d’un matériel portatif et la révélation chez ce monsieur Albous qui m’ont immédiatement ouvert la voie ; le lendemain j’ai acheté un magnétophone et j’ai commencé une semaine après.
- Vous êtes un self-made man alors ?
Complètement. Au début les magnétophones pesaient 12 à 15 kilos, il fallait aussi une batterie de voiture qui pesait 20 kilos, un transformateur qui en pesait une dizaine : on avait 80 kilos de matériel à emporter ! Les rouleaux de câble faisaient 200 mètres. On les déroulait, on allait accrocher le micro là où l’on espérait que l’oiseau allait chanter, et puis on attendait. Comme les oiseaux ont des postes de chant, en général ça marchait, mais il m’est arrivé d’attendre toute une journée sans que l’oiseau revienne près du micro. Comme il n’y avait ni parabole ni amplification, si l’oiseau n’était pas à moins de 10 mètres du micro on ne pouvait rien entendre. Ensuite la technique a évolué.
- Qu’est-ce qui fait une bonne prise de son ?
Cela dépend du but que l’on se fixe. Si on est scientifique et qu’on se donne comme but d’avoir tout le langage d’une espèce, une bonne prise de sons sera un cri que l’on ne connaissait pas encore ; si on se donne comme but de faire des paysages sonores, ce cri inédit est bon pour la poubelle et ce qui va être intéressant c’est d’avoir un concert naturel avec les différentes hauteurs de voix, l’écho naturel, etc. Si on se donne pour but de faire le recensement de tout ce que peut émettre une alouette des champs comme motifs musicaux, le bon enregistrement ça va être le motif nouveau que l’on va trouver chez une alouette ; Il n’y a pas de bon enregistrement en soi. On essaie toujours d’éviter les bruits parasites, ou de les filtrer après. Il y en de plus en plus car il y a de plus en plus de pollution sonore, des avions, des autoroutes. L’ambiance sonore s’abîme régulièrement à grande vitesse. Sur le plan du silence, le bon enregistrement est de plus en plus difficile à faire. Vous avez des avions, même au Tibet, tout le monde s’achète des tronçonneuses…C’est la catastrophe.
- Votre seul souci est-il de reproduire la réalité ?
Quand je passe des chants d’oiseaux, je ne les passe pas à l’envers, je ne mélange pas de oiseaux de Laponie et d’Afrique. Mais dès l’instant où vous faites une prise de sons c’est comme l’instant où vous faites une photo, ce n’est pas la réalité que vous avez à travers votre perception. C’est déjà une création ! La réalité objective n’existe pas. Quand nous organisons un stage d’enregistrement au CEBA, il y a 10 élèves, ils travaillent tous autour de la maison et pas un ne ramène les mêmes choses.
- Votre travail se rapproche-t-il davantage de l’art ou de l’artisanat ?
Il se rapproche de l’art, c’est un travail musical.
- Quel est votre disque coup de cœur ?
Il y en a quelques-uns que j’aime beaucoup. Un sur les grenouilles, parce que j’ai beaucoup de sympathie pour les grenouilles et depuis que j’ai travaillé avec Jean Rostand, quand j’étais adolescent, il m’a donné sa passion des grenouilles. Il y a des chants de grenouilles et de crapauds qui sont très beaux. Il s’appelle « Au pays des grenouilles » J’aime aussi beaucoup celui sur la Pologne ; j’ai fait des enregistrements en forêt avec une acoustique extraordinaire : ce sont de forêts primaires avec des arbres qui ont de très gros troncs ce qui crée comme une acoustique de cathédrale.
Par Magali MARGER – L’OISEAU MAGAZINE
Par Magali MARGER – L’OISEAU MAGAZINE