« Remarquable travail » par JAZZ HOT

En dehors d’un complément de cinq titres de mars-avril 1940 récemment retrouvés et en provenance de Cotton Club, Frémeaux & Associés poursuit la réédition dans la chronologie. Au Cotton Club « Darling Nelly Gray » est du bon Louis Armstrong (belles lignes de basse de Pops Foster). Le premier titre « Keep the Rhythm Going » débute par la trompette wawa avec growl de Shelton Hemphill, suivent un solo de sax basse (Joe Garland), un solide solo de Red Allen , un de clarinette (Bingie Madison ?) puis c’est une coda magistrale de Louis Armstrong et Sid Catlett. Le « Song of the Island » ne manque pas d’intérêt (partie de sax basse, solo de trombone – Wilbur de Paris ?-, un scat avec « band vocal » et la coda enlevée de Louis).
Le quotidien des professionnels. Le vécu du musicien est plus terre à terre . Il vit tout simplement la musique, et cherche à en vivre. Puisqu’il n’y a pas ici d’œuvre comme «  West End Blues », l’intransigeant passera sans doute à côté de ce coffret. Mais il perdra beaucoup, ne serait-ce que la magie de la sonorité de Louis Armstrong dans sa plénitude comme dans cette xième version de « Sleepy Time Down South » (son indicatif) et dans les deux prises du beau thème « I Used to Love You » au début du CD1, appartenant à une séance Decca du 16 novembre 1941, réalisée à Chicago. Dans son discours à des enfants africains, Louis leur disait que ce qui compte « c’est de faire de son mieux ». Et Louis fait dans ce coffret la magistrale démonstration qu’il sait faire de son mieux et qu’à la quarantaine, rares sont ceux qui pourraient faire mieux. La même séance donne un « Leap Frog » qui met en évidence l’excellence de l’orchestre (avec un rôle donné au sax basse par Joe Garland). Bon solo de Prince Robinson (ts) et remarquable travail du lead trompette Shelton Hemphill. Le « You Rascal You » qui termine cette séance officielle bénéficie du swing de Louis Armstrong (avec Sid Catlett, dm). Le 17 avril 1942, il retrouve les studios pour une nouvelle séance chez Decca. Dans « Cash for Your Trash » son phrasé de chanteur est un modèle de swing. Après son solo de trompette, la section de sax (Rupert Cole, lead as) joue un passage digne de Benny Carter. Les deux versions de « Among My Souvenirs » sont semblables. Louis Armstrong expose le thème avec beaucoup de retenue (ce qu’il sait aussi faire), puis après son passage chanté et une courte intervention de sax ténor, il rejoue le thème mais dans le registre aigu, à la perfection. Dans « Coquette » comme dans « I Never Knew » son premier solo est de la paraphrase du thème, le second pour terminer l’interprétation est plus libre, avec tension, swing et aigus (bien soutenu par Sid Catlett). A cette époque, il ne fait pas d’autres disques.
Il y a des courts métrages pour RCM le 20 avril 1942 avec la chanteuse Velma Middleton (« Swingin’ on Nothing », « You Rascal, You », « Shine », « When It’s Sleepy Time ») et le fameux Cabin in the Sky de Vincente Minelli (Hollywood, 28 août 1942, MGM) pour lequel Louis Armstrong est magistral à la trompette avec un grand orchestre de studio dans un « Ain’t It the Truth » qui fut supprimé au montage. Puis encore un petit film pour l’effort de guerre, Jam Session pour Columbia (Hollywood, 23 avril 1943) où il apparaît dans « I Can’t Give You Anything But Love ». Dans cette tranche d’activité, Louis Armstrong et son orchestre font beaucoup d’émissions radiophoniques dont un bon nombre a survécu. Il s’agit d’enregistrements en studio ou en public dont des éléments sont ensuite recopiés (transcriptions) sur disques 33 tours. Ces éléments réunis sur un même disque pouvaient avoir été enregistrés à des dates différentes. Il est donc difficile de dater avec précision ces documents en 1943-6 pour l’AFRS (American Forces Network), etc. Une émission depuis le Grand Terrace de Chicago des 16 et 27 novembre 1941 est de qualité auditive médiocre (Louis joue superbement , bien sûr, trois titres dont un « Panama »). Les acétates suivants sont réalisés à Culver City en avril 1942. Six titres de qualité acoustique modeste, mais chaque note de Louis Armstrong est impériale comme dans « Shoe Shine Boy » tronqué (un de ses trompettistes, peut-être Bernard Flood, joue un contre-chant discret avec sourdine à la partie vocale de Pops). Si on retrouve une version de plus de « Basin Street Blues », nous en avons une aussi de « Blues in the night » (bruits de fond). Ce qui retient l’oreille, car son orchestre est très bon, c’est « You Don’t Know What Love Is » arrangé de façon ellingtonienne (Prince Robinson, clarinette). Louis Armstrong y chante tendrement et reprend le thème dans l’aigu à la trompette avec sûreté. La série Downbeat de l’AFRS no 16 et 32 de 1941-43 commence par un solo de trompette qui n’est pas d’Armstrong (bon, mais petit son). Il précède quelques mesures de « Sleepy Time Down South » en fond à l’annonce, puis une version de « Coquette » où Louis Armstrong apparaît en grande forme. L’arrangement de Joe Garland sur « Girl of Kalamazoo » vaut pour la section de sax (Louis conclut à la trompette autour du thème). La chanteuse Ann Baker intervient dans deux morceaux qui permettent à Louis de se reposer (« Slender, Tender & Tall », « You Can’t Get Stuff in Your Cuff »). Louis Armstrong interprète une version réorchestrée de « Dear Old Southland » sur tempo plus vif que d’habitude. Trois autres titres sont la routine (« Lazy River », « Me and My Brother Bill », « Sunny Side »). L’ARFS série Jubilée no 19 permet d’entendre après l’indicatif (orchestre de studio), des versions sans surprise de « Coquette », « Shine », « Lazy River ». L’émission se termine avec un bon « One O’Clock Jump » (Luis Russell, p, Joe Garland ?, ts, Henderson Chambers, tb, Ted Sturgis, b, George Washington, voc, et  Louis Armstrong, tp style posé et son large). Suit l’émission Jubilée no 24 moins convenue : « If I Could Be With You » (bon arrangement, grand Louis Armstrong), « Confessin’ » (le court solo écrit de trombone précède la trompette puissante d’Armstrong). Dans « In the Mood », Louis se repose (le bon trompette solo doit être Franck Galbreath, influencé par son leader) ce qui lui permet de terminer magistralement dans « I Can’t Give You Anything But Love » (Garland, ts, Robinson, cl). Le personnel est similaire pour une radio de début 1943 qui vaut pour un premier « Black O’Town » (exposé royal de Louis, Prince Robinson, cl). Deux titres pour la série Jubilée no 21 : « Leap Frog » sans Louis (bon break de Chuck Morrison, dm) et « Old Man Mose » qui met Satchmo en vedette. La série Jubilée no 26 & 58 permet d’entendre « Ain’t Misbehavin’ » (Garland, ts, Robinson, cl, et Louis Armstrong le magnifique). Après un « Barrelhouse Bessie From Basin Street » (bon riff pour trompettes) , nous avons une version revue de « Peanut Vendor » où Louis Armstrong montre ce que swing veut dire dans sa façon de chanter. La vie de musicien, c’est aussi affronter les difficultés. A l’évidence auditive, Louis Armstrong n’est pas en forme d’août 1943 à janvier 1944 lorsqu’il doit assumer deux émissions. Depuis Dallas, avec des changements de personnel dans son orchestre, c’est la série Spotlight Bands no 128. Louis Armstrong a une petite faiblesse à peine audible dans « I Never Knew » (bon break de Jesse Price, dm). Louis n’intervient pas dans « What’s A Good Word, Mr. Bluebird ? » chanté par Ann Baker avec un solo lestérien de Dexter Gordon et un bon solo de Frank Galbreath . On remarque l’excellence d’Art Simmons (b) dans « I Lost My Sugar » et « Lazy River » que Louis Armstrong assure avec prudence (sourdine dans l’exposé) et qui révèle Gerald Wiggins (p). Pour la NBC, il y a un plateau de stars qui débute dans le flou artistique (jam !) un « Esquire Blues » (Coleman Hawkins, excellent). Le « Basin Street Blues donne la vedette à Jack Teagarden (voc, tb) et Louis Armstrong (voc, tp).
Un big band dirigé par Paul Laval se joint aux stars pour « Honeysuckle Rose » où la sonorité de Louis est un peu nasillarde. Il y a fort à parier qu’il y a un problème de lèvres et peut être , pour le contourner, change-t-il d’embouchure. C’est le réalisme des enregistrements pris sur le vif contrairement à ceux de studio. D’où l’intérêt de ces rééditions.
Michel LAPLACE – JAZZ HOT