Roll before Beethoven par Les Inrockuptibles

"Une expédition archéologique fouille le rock’n’roll et détermine la date de son invention : 1607. De rouflaquettes insolentes, de bananes gominées et de pompes en daim bleu, point. De guitares électriques énervées, pas davantage. On part ici à la recherche (un discret sous-titre le précise) des roots of rock’n’roll – racines aussi nimbées de mystère que le furent au XIVème siècle les sources du Nil... » Bruno JUFFIN – LES INROCKUPTIBLES

"Une expédition archéologique fouille le rock’n’roll et détermine la date de son invention : 1607. De rouflaquettes insolentes, de bananes gominées et de pompes en daim bleu, point. De guitares électriques énervées, pas davantage. On part ici à la recherche (un discret sous-titre le précise) des roots of rock’n’roll – racines aussi nimbées de mystère que le furent au XIVème siècle les sources du Nil. Dans son succulent Country, Nick Tosches, érudit pince-sans-rire, fait remonter les premiers vagissements du rock’n’roll au printemps de 1607, quand au cours d’une (calamiteuse) expédition coloniale un dénommé John Lydon (on notera l’homonymie prémonitoire avec l’histrion des Sex Pistols) débarque en Amérique. Dans sa malle, un violon, dont il joue "comme un homme rendu fou par la fièvre" (ses chansons portent des titres éloquents – Devil’s bitch, Drunk negar). Entre les exactions blasphématoires de ce possédé (sa famille se serait ramifiée jusqu’au Tennessee) et la naissance (controversée) du rock’n’roll (premières girations pelviques d’Elvis ou enregistrement de Rocket 88 par Ike Turner, le débat n’a pas fini de donner du grain à moudre aux thésards teigneux), la musique américaine a gaillardement fait les quatre cents coups – en se contrefoutant de savoir à quel genre elle pouvait appartenir. Au gré des anthologies Frémeaux, chansons et artistes slaloment de folk en jazz, de blues en country au long de pentes sinueuses qui toutes finissent par mener au rock’n’roll – lequel à ce stade embryonnaire se distingue par son (mauvais) esprit plus que par une forme musicale spécifique. Dans Country, 1927/1942 et Folksongs 1926/1944, l’Amérique a du vague à l’âme. Sur Rock’n’roll 1927/1938, elle joue des mêmes instruments rustiques mais a le feu aux fesses, explicitement ointes de vaseline dans l’affriolant It feels so good des Heartman’s Heartbreakers (1936). Si avec Country et Folksongs on entend pleurer le monde frigorifié des Raisins de la colère, Rock’n’roll a le sang chaud – celui qui irrigue un autre grand roman de la Dépression , le Walk on the wild side de Nelson Algren, où chansons salées et blues gaillards retentissent au fond des bordels de la Nouvelle-Orléans. Twist your stuff entonne Barbecue Bob – il s’agit ici d’onduler du valseur et de se secouer le derche, au son de saxophones salaces, de trompettes en chaleur et de banjos enjoués : pendant la crise, le rut continue. Quand des sirènes de bastringue ensorcellent les péquenots du Sud, les braguettes craquent et les valseurs passent la surmultipliée dans le Honky Tonk Blues de Jimmie Davis, érotomane confirmé qui avant d’être élu gouverneur de Louisiane signa quelques-unes des rengaines les plus tumescentes d’une époque pourtant riche en la matière. Des chansons qui par la magie des ondes contournent les préjugés raciaux : dix ans plus tard, à l’écoute de WHBQ (Memphis), Presley adolescent se gave de Mudddy Waters et d’Elmore James tandis que Chuck Berry succombe à la verve hillbilly en découvrant Gene Autry et Hank Williams sur KMOK (Saint-Louis) – déjà adulte, le rock’n’roll y gagnera une figure de proue et un barde malicieux, irrésistibles propagateurs du mythe de l’adolescence éternelle. » Bruno JUFFIN – LES INROCKUPTIBLES