« Entre les caravanes, sur scène ou dans la rue, Bruno Le Jean a suivi pendant cinq ans leur quotidien peu ordinaire, où chaque instant trouve une mélodie propre. Sur les cordes de la guitare, les doutes s'apaisent, les joies se célèbrent, le quotidien se rythme. Seuls les mots importants sont dits : on y parle calmement des incertitudes liées à une statut politique complexe, de la dévotion sans bornes que l'on doit à sa famille, de cette musique que l'on aime inconditionnellement et tous les jours. S'il refuse constamment de prendre une forme polémique, le film de Bruno Le Jean est pourtant au service d'une cause brûlante qui excède largement le cadre du documentaire musical. Dans l'actualité socio-politique, donner la parole aux gens du voyage, c'est donner la parole à la défense dans un vaste procès où la musique semble n'avoir aucun rapport avec les débats. Mais l'un des points forts des Fils du Vent tient à sa capacité à conserver un calme déconcertant, semblable à celui que ses protagonistes affichent. Omniprésente, la musique est le cœur vibrant d'un art de vivre fondé sur la patience : pour le réalisateur comme pour Angelo, Moreno, Ninine et Tchavolo, il ne s'agit pas de discuter, mais d'illustrer simplement leur quotidien, grand ouvert à la cohabitation. Toutes les lectures symboliques s'y prêtent : savoir jouer ensemble, c'est pouvoir vivre ensemble. Mettre sa journée en musique, c'est se passer des mots : pacifier les tensions, poétiser l'ordinaire. Eduquer un enfant, c'est lui mettre une guitare entre les mains, pour qu'elle lui apprenne à vivre au milieu des autres. Parfois, cela semble trop simple, et le documentaire pointe des failles sans soulever de questions. Moreno, par exemple, vit en appartement. Il a renoncé aux campements, ses raisons sont bien vagues, et l'on est tenté de les croire douloureuses. Angelo doit se fournir en eau aux pompes à incendie en bord de routes. Sur cinq ans, n'y a-t-il vraiment pas eu de crises, d'accords faussés et dissonants ? N'y a-t-il pas eu de mots de trop ? Parieur engagé, Bruno Le Jean mise tout sur sa capacité à montrer, sans discourir , que la musique peut faire ces miracles-là. Entretenir la patience et la curiosité pour l'autre, les forces nécessaires à sourire encore les mauvais jours. Aussi fou qu'il puisse être, son pari a du sens a plus d'un titre. Dans un débat comme celui-ci, où l'on a tant parlé et souvent mal, les guitares ne sont pas une panacée. Du moins sonnent-elles plus juste que les mots. »
Par Noémie LUCIANI – LE MONDE
Par Noémie LUCIANI – LE MONDE