« Signé Siné par Franck Médioni » - Interview par Jazz Notes

"Pour moi, le jazz est lié à la fête, ce n’est pas du tout une musique « chiante » comme disent certains. Quand il y eu la bagarre entre Delaunay et Panassié, j’ai tout de suite pris parti pour les modernes. Cette guerre était un peu injustifiée, les positions étaient très fermes. Pour les uns, Dizzy Gillespie était à tuer, pour les autres, Louis Armstrong était devenu un vieux con. C’était surtout très politique. Boris Vian était pro-moderne et continuait à jouer de sa trompinette dans un style très traditionnel. Mon rêve, c’était de devenir musicien de jazz. J’ai essayé de jouer de la clarinette mais ça a été une catastrophe !" Siné - propos recueillis par Franck Médioni, Jazz Notes

Franck Médioni : Siné, quand et comment avez-vous découvert le jazz ?


Siné : Comme tous ceux de mon âge, j’écoutais tout ce qui me tombait sous la main. C’était à la fin de la guerre de 40, il y avait Ray Ventura et ses collégiens, Jacques Elyan et bien d’autres. Nous avons appris à danser là-dessus. A cette époque-là, les Américains ont débarqué avec leurs V-disques, les disques de la victoire. J’ai eu la chance d’habiter près de l’hôpital Lariboisière où la plupart des Américains blessés étaient en convalescence. Ils me donnaient des chewing-gums, des cigarettes et des revues porno. C’est comme ça que j’ai découvert Count Basie, Duke Ellington et Lionel Hampton. Le jazz était directement associé à la Libération, à la fête. Pour moi, le jazz est lié à la fête, ce n’est pas du tout une musique « chiante » comme disent certains. Quand il y eu la bagarre entre Delaunay et Panassié, j’ai tout de suite pris parti pour les modernes. Cette guerre était un peu injustifiée, les positions étaient très fermes. Pour les uns, Dizzy Gillespie était à tuer, pour les autres, Louis Armstrong était devenu un vieux con. C’était surtout très politique. Boris Vian était pro-moderne et continuait à jouer de sa trompinette dans un style très traditionnel. Mon rêve, c’était de devenir musicien de jazz. J’ai essayé de jouer de la clarinette mais ça a été une catastrophe !


F.M. : Quels sont vos moments forts d’amateur de jazz ?


Siné : Je me souviens de Dizzy Gillespie à la Salle Pleyel en 1947, c’était vraiment bouleversant. On était tous debout sur les fauteuils ! C’était la première fois qu’on voyait un orchestre pareil, ils étaient quinze sur scène, les solistes étaient géniaux. C’était un vrai plaisir, une grande découverte. Je me suis aussi régalé il y a sept-huit ans, à un concert de Sonny Rollins à Antibes. Mes meilleurs souvenirs de jazz en direct, c’est à New York. On sortait d’une boîte pour entrer dans une autre. Je me souviens de concerts de Charles Mingus, de Roland Kirk et d’autres. Et puis, je pense aussi à des concerts de Clark Terry et de Chet Baker au New Morning.


F.M. : Et quels sont vos musiciens de jazz préférés ?


Siné : Cela change selon les périodes. J’aurais bien du mal à classer les musiciens que je préfère, il y en a beaucoup. J’aime bien Monk, Nat King Cole, Armstrong, Coltrane, Dolphy, Don Cherry, Chet Baker, Lester Young et Billie Holiday. Je peux écouter Lester Young toute la journée, je flotte de bonheur.


F.M. : Est-ce que le jazz a pu directement ou indirectement vous influencer dans votre travail de dessinateur ?


Siné : Je ne crois pas. Peut-être indirectement, j’étais pour la cause des Noirs américains contre l’Amérique raciste. Ils avaient toute notre sympathie, à la fois musicale et extra-musicale, politique. Mais, de toute façon, même sans le jazz, j’aurais été de gauche et antiraciste.


F.M. : Comment est née cette anthologie de jazz, ce coffret de deux disques « Vive le jazz ! » qui vient de sortir chez Frémeaux & Associés ?


Siné : C’est Patrick Frémeaux qui en a eu l’idée. A partir du moment où c’était du jazz, j’étais partant. J’ai donc fait une sélection de trente-six morceaux parmi son catalogue qui s’arrête à 1947, date limite de liberté des droits de reproduction. Cela va de Rex Stewart à Dexter Gordon en passant par Billie Holiday, Jimmie Lunceford, Nat King Cole, Jelly Roll Morton, Lionel Hampton, Coleman Hawkins, Dizzy Gillespie, Jack Teagarden, Slim Gaillard, Charlie Parker, Sarah Vaughan, Louis Armstrong, Fats Waller, Dexter Gordon et Count Basie. Le choix a été très difficile à faire mais ça a été un grand plaisir. » JAZZ NOTES