« Superbe leçon de philosophie donnée par Pierre-Henri Tavoillot sur le sujet, évidemment politique, mais appréhendé toutefois ici bien au-delà de ce seul horizon, tant cette question, ces dernières années, aura traversé de part en part nos sociétés. Alors crise, ou fin de l’autorité ? Ebranlée dans la famille, à l’école, dans la cité, cette déploration aura été si systématique qu’on en viendrait presque à douter de sa fin tant annoncée. Pierre-Henri Tavoillot s’y refuse en tout cas, préférant parler des métamorphoses de l’autorité, pour mieux nous donner à en saisir les enjeux aujourd’hui. Et bien évidemment, pour l’évoquer, ne pouvant faire l’économie d’en tracer la genèse, il nous offre au passage une belle leçon d’histoire philosophique, scrutant les textes fondateurs pour nous aider à en comprendre les nuances.
L’autorité n’est donc pas le pouvoir. Les philosophes de l’Antiquité n’ont cessé de le démontrer, ce dont l’autoritarisme des petits chefs n’a jamais pris acte dans la pratique de leur pouvoir, dépourvu de toute aura d’autorité. Mais alors, qu’est-ce qui fonde l’autorité ? Celle du sage par exemple, si éloigné de tout pouvoir sur les hommes ? Le retour au latin permet ici d’en mieux saisir le sens : l’autorité c’est ce qui, littéralement, augmente, un pouvoir ou un argument. Mais d’où peut bien venir cette augmentation ? Traditionnellement, de trois sources : le cosmos, le sacré et le passé. Commençons au fond par le passé, qui faisait il n’y a pas si longtemps encore autorité. Nietzsche en installe la figure : la tradition, c’était ce qui s’imposait de soi-même et n’avait besoin d’aucune justification, s’affirmant comme une évidence sans question, ni critique. On le voit bien à relire Nietzsche : la crise de l’autorité que nous connaissons vient de ce que ces trois références ne fonctionnent plus de manière aussi évidente dans nos sociétés. Car ce qui fait autorité de nos jours, n’est ni le passé, ni le cosmos ou un quelconque référent transcendant de la nature, ni moins encore le sacré, mais le savoir et l’expertise scientifique. Les hommes, en mettant pareillement en avant leur science, ont ainsi voulu s’affranchir de toute référence extérieure, pour fonder en l’humain seul la possibilité de l’autorité. L’homme ne s’autorisant que de lui-même. C’est bien joli, mais à considérer la science dans sa démarche même, ce que l’on observe, c’est qu’elle ne fonctionne qu’à la critique et l’autocritique, c’est-à-dire au doute, cartésien si l’on veut, avec ce résultat qu’en définitive, elle ne peut nous donner confiance en elle. Karl Popper, le grand philosophe de la logique scientifique, en avait rajusté l’ambition : le but de la science c’est de falsifier, non d’atteindre une quelconque vérité. La seule certitude, en science, porte sur le faux. L’ordre du savoir n’est en aucun cas l’ordre de la Vérité. La science, ainsi, se trouve incapable de fonder l’autorité. Et ni nos savants, ni nos prétendus experts n’ont apporté le moindre démenti à ce constat. Et l’homme contemporain de s’en trouver fort marri, lui qui a fait sienne cette devise de Hobbes, selon laquelle "c’est l’autorité, non la vérité, qui fait la loi"… Une loi d’autorité qu’il est alors allé chercher, par exemple et pour ce qu’il en va de son rapport à la cité, dans le charisme de l’homme d’état… Une notion bien confuse, dont nul n’a jamais vraiment su ce qu’elle recouvrait, sinon qu’acceptable dans sa traduction américaine de leader, elle ne l’était plus du tout dans sa traduction allemande de Führer… Et Pierre-Henri Tavoillot de nous donner à comprendre qu’il y a là un vrai problème pour les citoyens que nous sommes, désemparés de ne pouvoir s’en remettre qu’à des autorités de façade. Voire ambivalentes, comme celle construite autour de la figure des victimes dans nos sociétés compassionnelles sans grandes solidarités continues, érigeant l’identité victimaire en autorité au vrai bien délicate à identifier, et à tout le moins, aussi obscure que celle déployée dans la figure du charisme… »
Par Joël JEGOUZO – BLOG MINISTRE DE LA CULTURE
L’autorité n’est donc pas le pouvoir. Les philosophes de l’Antiquité n’ont cessé de le démontrer, ce dont l’autoritarisme des petits chefs n’a jamais pris acte dans la pratique de leur pouvoir, dépourvu de toute aura d’autorité. Mais alors, qu’est-ce qui fonde l’autorité ? Celle du sage par exemple, si éloigné de tout pouvoir sur les hommes ? Le retour au latin permet ici d’en mieux saisir le sens : l’autorité c’est ce qui, littéralement, augmente, un pouvoir ou un argument. Mais d’où peut bien venir cette augmentation ? Traditionnellement, de trois sources : le cosmos, le sacré et le passé. Commençons au fond par le passé, qui faisait il n’y a pas si longtemps encore autorité. Nietzsche en installe la figure : la tradition, c’était ce qui s’imposait de soi-même et n’avait besoin d’aucune justification, s’affirmant comme une évidence sans question, ni critique. On le voit bien à relire Nietzsche : la crise de l’autorité que nous connaissons vient de ce que ces trois références ne fonctionnent plus de manière aussi évidente dans nos sociétés. Car ce qui fait autorité de nos jours, n’est ni le passé, ni le cosmos ou un quelconque référent transcendant de la nature, ni moins encore le sacré, mais le savoir et l’expertise scientifique. Les hommes, en mettant pareillement en avant leur science, ont ainsi voulu s’affranchir de toute référence extérieure, pour fonder en l’humain seul la possibilité de l’autorité. L’homme ne s’autorisant que de lui-même. C’est bien joli, mais à considérer la science dans sa démarche même, ce que l’on observe, c’est qu’elle ne fonctionne qu’à la critique et l’autocritique, c’est-à-dire au doute, cartésien si l’on veut, avec ce résultat qu’en définitive, elle ne peut nous donner confiance en elle. Karl Popper, le grand philosophe de la logique scientifique, en avait rajusté l’ambition : le but de la science c’est de falsifier, non d’atteindre une quelconque vérité. La seule certitude, en science, porte sur le faux. L’ordre du savoir n’est en aucun cas l’ordre de la Vérité. La science, ainsi, se trouve incapable de fonder l’autorité. Et ni nos savants, ni nos prétendus experts n’ont apporté le moindre démenti à ce constat. Et l’homme contemporain de s’en trouver fort marri, lui qui a fait sienne cette devise de Hobbes, selon laquelle "c’est l’autorité, non la vérité, qui fait la loi"… Une loi d’autorité qu’il est alors allé chercher, par exemple et pour ce qu’il en va de son rapport à la cité, dans le charisme de l’homme d’état… Une notion bien confuse, dont nul n’a jamais vraiment su ce qu’elle recouvrait, sinon qu’acceptable dans sa traduction américaine de leader, elle ne l’était plus du tout dans sa traduction allemande de Führer… Et Pierre-Henri Tavoillot de nous donner à comprendre qu’il y a là un vrai problème pour les citoyens que nous sommes, désemparés de ne pouvoir s’en remettre qu’à des autorités de façade. Voire ambivalentes, comme celle construite autour de la figure des victimes dans nos sociétés compassionnelles sans grandes solidarités continues, érigeant l’identité victimaire en autorité au vrai bien délicate à identifier, et à tout le moins, aussi obscure que celle déployée dans la figure du charisme… »
Par Joël JEGOUZO – BLOG MINISTRE DE LA CULTURE